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Non-fiction
La haine a-t-elle une raison ?
Ils m’ont haï sans raison : De la chasse aux sorcières à la Terreur Auteur : Jacob Rogozinski Éditeur : Cerf
Article mis en ligne le 22 décembre 2015
dernière modification le 17 décembre 2015

Quelle est la logique de la haine ? Comment cet affect individuel peut-il animer des persecutions collectives ?

(...) L’ouvrage se penche sur un phénomène que l’on pensait connu, mais qui n’a jusqu’à présent gère suscité l’intérêt des philosophes, à savoir la persécution des sorcières au cours des XVIe et XVIIe siècles. Jacob Rogozinski a le mérite de nous rappeler l’ampleur du phénomène : entre 80 000 et 200 000 victimes, dénoncées, humiliées, torturées puis brûlées. Mais il nous rappelle aussi que ce phénomène ne s’est pas produit au cours d’un Moyen Âge que l’on imagine volontiers obscurantiste et sujet à des croyances religieuses irrationnelles, mais en plein processus de modernisation et de sécularisation.

On brûle les sorcières au moment où Descartes écrit son Discours de la méthode ; et c’est ce même Jean Bodin, qui prend des positions humanistes sur les guerres de religion, fonde la théorie moderne de la souveraineté, et écrit un traité intitulé De la démonomanie des sorciers, qui dénonce l’omniprésence des sorciers dans la société (jusqu’à la cour du roi lui-même) et détaille les meilleurs moyens de les torturer. L’idée naïve – mais encore partagée par certains historiens – d’un progrès de l’histoire vers les Lumières, n’en sort pas indemne. (...)

son projet est bien plus profondément de « comprendre la logique de la haine ». Projet ambitieux, d’autant qu’il part d’un constat paradoxal, qui permet de comprendre le titre de l’ouvrage : c’est que la haine est « sans raison ». « Comme l’angoisse ou l’amour, la haine est sans pourquoi » (p.29). Penser la logique des affects ne signifie donc pas les ramener à une cause explicative, manière de se débarrasser du problème plus que de le résoudre : l’ouvrage ne cède jamais à ces simplifications rationalisantes que l’on trouve dans certains livre d’histoire, où l’on explique par exemple la persécution des sorcières par la « petite glaciation » qui a lieu au XVIIe siècle.

Néanmoins, si l’on ne peut expliquer le pourquoi de ce déchaînement de haine, qui tantôt prend les lépreux pour objet, tantôt les sorcières, tantôt les Juifs, on peut décrire comment des dispositifs de persécution se mettent en œuvre, comment le pouvoir peut capter des affects de haine ou de dégoût en utilisant des schèmes de persécution ou d’exclusion. (...)

Jacob Rogozinski ajoute ainsi un concept précieux – celui de « dispositif de persécution » – aux dispositifs d’exclusion et de normalisation que Foucault avait déjà théorisés dans ses Séminaires ou dans Surveiller et punir (...)