
Tchernobyl reste un désastre : la santé publique continue de se dégrader. Tchernobyl est une tragédie. Une décision s’imposait : éviter de fortes retombées sur les grandes villes et les industries stratégiques. Les circonstances, vents et pluies, ont conduit à précipiter la radioactivité sur des zones peu peuplées. L’essentiel soviétique a été préservé… dont le secret sur l’opération.
Entre le 26 avril et le 6 mai 1986, la ruine du bloc 4 de Tchernobyl a en moyenne rejeté chaque heure l’équivalent des produits de fission de périodes courtes et moyennes d’une explosion de bombe atomique. La plus grande part de cette radioactivité a été emportée sous forme de panaches dont l’extension croissait en fonction de la distance parcourue ; en conséquence, la concentration en radioéléments décroît, elle, du centre vers la périphérie et le long de la trajectoire. Durant cette séquence, la direction du vent de Tchernobyl a fait un peu plus d’un tour complet dans le sens des aiguilles d’une montre, du Nord-Nord-Ouest au Nord. Là où il n’a pas plu lors du passage des panaches radioactifs les retombées n’ont que peu ajouté à celles (autour de 2 kBq/m2) résultant des centaines de tests atomiques atmosphériques réalisés entre 1945 et 1984. C’est le cas des Pays Baltes, de la Pologne, et du Nord de la Russie et de la Biélorussie, notamment, pour ce qui concerne les pays parmi les plus exposés de l’ancien bloc soviétique.
En revanche, là où il a plu durant les heures cruciales les retombées ont été importantes, voire colossales, jusqu’à largement plus de 3 MBq/m2 de Cs137 et au moins trois fois plus d’I131. A cela il faut ajouter celles de Sr90, notables jusqu’à quelques dizaines de km de la centrale, mais aussi aux confins orientaux du Belarus autour de Vietko et Novozhybkov (oblast de Briansk). On ne trouve du plutonium (quelques milliers de Bq/m2) que dans la Zone d’Exclusion. (...)
Cependant, la répartition de ces retombées massives n’a souvent pas suivi les lois de la nature. Si cela avait été le cas, alors la ville de Briansk et les usines militaires de sa périphérie aurait dû être évacuées, puis faire l’objet d’un formidable travail de décontamination. Au delà, à l’Est de Briansk, se trouve une grande anomalie de pollution en forme d’arc (...)
Autant dire que moins de deux jours après l’explosion initiale le Kremlin avait pris la décision de précipiter la radioactivité au plus près de la centrale en ensemençant les panaches avec des particules d’iodure d’argent (AgI). (...)
Mais les caprices et l’imprévisibilité de la météo – on ne peut mener l’opération que si la pluie est imminente – ont conduit à sacrifier des régions agricoles et forestières relativement peu peuplées du Sud-Est du Belarus (entre la centrale et Gomel, et au delà, entre Gomel et Moghilev) avec une extension en Russie à l’Ouest de l’oblast de Briansk (raïon de Novozhyblov), et du Nord de l’Ukraine, notamment le territoire à l’Est d’Ivankov et une bande jouxtant le Sud de la Biélorussie vers la frontière polonaise. Là, les cartes montrent des contaminations intenses (...)
Passons outre les mensonges onusiens et des organismes de « protection radiologique » nationaux. L’évaluation des conséquences sanitaires dans les populations pâtit de plusieurs biais et lacunes de diverses natures dont nous allons décrire l’influence sur les bilans. Suivons les choses dans les ordres logique et chronologique.
Logique d’abord.
Les tissus humains les plus sensibles aux radicaux libres (produits notamment par les radiations ionisantes) sont les vaisseaux sanguins. Aussi, hormis les effets tératologiques et cancérigènes (les mutations sont très rares), la plupart des conséquences à court terme des irradiations moyennes et fortes comprennent des atteintes au système vasculaire (y compris bien sûr celui qui irrigue le cœur).
Les pathologies peuvent aussi résulter d’un cumul de causes. (...)
Chronologique…
1. Les panaches de Tchernobyl.
Outre de l’iode, du césium, du cérium, du ruthénium etc, ils contenaient d’abord d’énormes quantités de gaz rares (Kr85 essentiellement). L’ensemble a provoqué une première irradiation, externe et par inhalation. Il faisait beau. L’OMS avait conseillé de ne prendre aucune mesure de protection (Rapport de la Commission d’experts réunie à Copenhague le 6 mai 1986), ce qui confortait la stratégie du secret adoptée par le Kremlin. La plupart des enfants jouaient donc dehors et, contrairement aux adultes de ces régions agricoles qui portent chapeau, casquette et foulard, ils restaient tête nue. Au Belarus, des averses sont survenues à partir du 28 avril jusqu’au 2 mai, soit pendant la période festive autour du 1er mai. Les enfants ont donc respiré un air chargé de particules ß, lesquelles ont provoqué de nombreux saignements de nez (les vaisseaux sanguins de la muqueuse nasale sont très fins), et (aussi chez les adultes – conséquence également observée à Fukushima) une très anormale augmentation de l’incidence de pneumonies dans les semaines suivantes. Beaucoup de particules se sont collées aux cheveux de ces enfants, plus sur ceux des filles que sur ceux des garçons, qui les portent très courts dans ce pays. Elles ont causé des alopécies chez un certain nombre de filles, qui ont plongé leurs parents dans une vraie terreur. Ces pathologies n’ont pas été répertoriées dans les rapports officiels.
2. Le cas de l’iode. (...)
3. La reproduction humaine ; le cas particulier de la descendance des liquidateurs. (...)
La multiplication des malformations visibles à l’échographie a conduit à un taux d’avortements thérapeutiques de 77 pour 100 naissances en 1986 et 1987. Ce taux a ensuite fluctué dans une fourchette de 35 à 20 entre 1988 et 2010 pour diminuer sensiblement ensuite. Ces interruptions de grossesse ont évidemment biaisé par défaut les statistiques des malformations que le registre national biélorusse tient à jour depuis 1971. Seules les malformations non repérables à l’échographie et détectables après la naissance sont donc comptabilisées. Leur nombre a grosso modo progressivement doublé entre 1986 et 2006. (...)
La descendance de la génération des liquidateurs a été considérablement affectée par l’enrôlement des pères à Tchernobyl. On comptait six fois plus de malformations chez leurs enfants que dans la population générale. A cela il faut ajouter des mortalités péri et néonatale repérables jusque dans les statistiques démographiques de la Banque Mondiale (...)
4. Les cancers.
Tout comme chez les survivants de Hiroshima et Nagasaki, l’augmentation du nombre de cancers est notable mais faible en valeur absolue en regard des autres pathologies, sauf pour les leucémies dont le nombre reste une sorte de secret d’Etat. (...)
5. L’état général de la santé de la population.
Il ne cesse de se dégrader. La morbidité est chiffrée par le nombre de maladies enregistrées par an et par mille habitants. En 1986 les valeurs étaient identiques chez les enfants et les adultes : 300. Dix ans plus tard elles s’étaient disjointes : 1 160 chez les enfants et 780 chez les adultes. Depuis la morbidité dans ces deux populations tend à converger, l’une – des enfants – vers 1 500, et l’autre – des adultes – vers 1 300. Les adultes d’aujourd’hui sont les enfants d’hier… il ne faut donc pas limiter notre vision des problèmes à l’état de santé de la population infantile. (...)
6. Perspective…
Dans les villages et villes où l’enseignement de l’Institut Belrad et de ses relais locaux est dispensé la contamination moyenne des enfants s’est stabilisée autour de 30 Bq/kg de poids de corps. Les accidents sont de plus en plus rares et dépassent très rarement 1 000 Bq/kg, là où il y a un quart de siècle des contaminations de plus de 2 000 Bq/kg étaient fréquentes. Cependant, on reste à la merci d’une année faste où la générosité des forêts se montrera exceptionnelle, du non renouvellement à Belrad de l’autorisation d’exercer sa mission dans telle école de tel village, et de l’arrêt définitif du contrôle des aliments dans des localités très contaminées, comme à Olmany à partir du début des années 2010. De toutes façons, les missions de terrain de Belrad ne touchent que 3 à 5% de tous les enfants exposés. Aussi, notre connaissance des dégâts sanitaires post-Tchernobyl est-elle essentiellement lacunaire et le restera.