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La « fête du travail »
Article mis en ligne le 1er mai 2010
dernière modification le 30 avril 2010

« Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis deux siècles, torturent l’humanité. Cette folie est l’amour du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu’à l’épuisement des forces vitales de l’individu et de sa progéniture. » Paul Lafargue, gendre de Karl Marx, écrivait ces lignes au XIXème siècle, à l’époque de la révolution industrielle et du capitalisme manufacturier. Au début du XXIème siècle, alors que les conditions de travail se sont profondément transformées, à l’heure de l’automatisation et de l’informatique, et même si la misère sociale n’est plus la même, cette réflexion demeure malgré tout d’actualité : le travail, sous l’emprise du capitalisme financier moderne, reste pour la grande majorité des salariés un facteur d’aliénation et une source d’épuisement moral et physique.

Pourtant, il fut un temps où les sirènes du progrès nous faisaient entrevoir un monde de l’entreprise plus prometteur, où l’individu, libéré des tâches et contraintes physiques les plus pénibles , pourrait enfin s’épanouir au travail. La technique devait nous libérer des travaux les plus rebutants, du travail aliénant , du travail posté, de ce travail dont l’étymologie* nous rappelle qu’il s’agit là d’une activité qui n’est pas destinée à procurer du plaisir mais bien au contraire de la souffrance et du désagrément.

Mais il a fallu déchanter et la réalité qui s’impose aujourd’hui dans les entreprises est bien conforme à la dureté froide des temps modernes et aux exigences du néolibéralisme : l’individu au travail n’est pas là pour s’épanouir ou développer des compétences, il est là pour participer à l’élaboration de la seule ligne qui compte, celle du bénéfice. L’époque ne sait reconnaître que le langage des chiffres, l’humain est un rouage comme un autre dans une machine économique au service de la rémunération du capital et des actionnaires, sous le contrôle de financiers inaccessibles. Dans les grands groupes, l’aliénation du travail se nourrit aussi de l’isolement des individus, de la fragmentation des activités et du compartimentage des services. Confronté à la culture de la performance et de l’efficience, chacun est responsable de son résultat et, dans l’atmosphère tendue des « open space », l’asservissement, le contrôle et la souffrance psychique règnent sur des salariés devenus compétiteurs. Les suicides dans des sociétés comme France Telecom démontrent bien que, plus d’un siècle après Zola, l’enfer au travail peut être pavé des méthodes modernes de management.

Dans ce contexte et dans le cadre d’une concurrence et d’une compétition effrénée entre pays, la réhabilitation du travail par le pouvoir sarkozyste est destinée uniquement à conditionner les travailleurs de façon à satisfaire les appétits de plus en plus contraignants et traumatisants des possédants , à servir les financiers, les nouveaux maîtres de forge du XXIème siècle. Travailler plus, travailler plus longtemps pour sauver nos retraites, pour réduire notre dette publique, pour plaire aux agences de notation. . .nos gouvernants n’en finissent pas d’égrener une argumentation mystificatrice destinée à nous asservir toujours davantage à cette « société salariale » et au marché du travail alors même que l’évolution des techniques et le vrai progrès consisteraient à nous en affranchir. Car le travail pour consommer toujours plus dans une planète ravagée par les pollutions de toutes sortes et menacée par le réchauffement climatique n’ a aucun sens. Ce travail là nous transforme en esclaves, en drogués de la société de consommation. Loin de nous libérer, il nous contraint sans cesse davantage à une époque où l’humanité dans son ensemble devrait faire valoir ses droits à la paresse, à la méditation, pour réfléchir à son avenir et opter pour un cheminement réellement durable. La fête du travail doit plus que jamais être un combat.

Jean-Luc Gasnier