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France Culture
La climatisation : de l’invention d’un "cinglé" à un problème de santé publique
Article mis en ligne le 26 mai 2021

Âgé de 180 ans, l’air conditionné n’a pas été pris au sérieux lors de son invention par le médecin John Gorrie, qualifié de "cinglé qui pense pouvoir fabriquer de la glace". Au XXIe siècle, la climatisation imaginée pour régler un problème de santé publique est en passe d’en devenir un à son tour.

Une invention d’autant plus étonnante que la première centrale électrique de Thomas Edison ne fut ouverte qu’en 1882, à New York. Pourtant le premier système d’air conditionné ne rencontra pas le succès espéré et tomba, temporairement, dans l’oubli.
La clim’ contre la malaria

Avant d’être un inventeur, John Gorrie est surtout un médecin dévoué. En 1833, il s’installe à Apalachicola, au Nord Ouest de la Floride. La région, inhospitalière, est couverte de marécages, auxquels on attribue alors les nombreux cas de malaria qui touchent la population. John Gorrie distingue alors plusieurs origines à la maladie, au rang desquelles les impuretés présentes dans l’atmosphère, la contagion, et la "débauche", c’est-à-dire ici le fait de manger et boire à l’excès, au point d’affaiblir son système immunitaire.

Médecin talentueux, physicien, il est l’un des premiers docteurs à travailler pour le U.S. Marine Hopital System, l’ancêtre du Service de santé publique actuel aux Etats-Unis. Élu maire en 1837, il supervise l’assèchement des marais et recommande de créer un hôpital pour les plus nécessiteux. La malaria, ou paludisme, est alors un problème de santé majeur. Un journal dresse ainsi, en 1841, le bilan des victimes de la "fièvre des marais" : (...)

Les températures élevées, associées à un environnement humide, causent selon lui "une détérioration physique et mentale chez les habitants". Il estime donc qu’il pourrait sauver la vie de ses patients mourants s’il parvenait à réduire la température dans leur chambres d’hôpital. Dès 1842, il imagine ainsi le premier système d’air conditionné au monde, alors assez rudimentaire : il crée un mécanisme qui permet de ventiler de l’air depuis un bloc de glace, importé en hiver depuis les lacs de glace proches de Boston.

Le brevet n°8080 (...)

Deux ans plus tard, John Gorrie, familier des travaux de Faraday et Cullen, s’attelle à la réalisation d’une machine à air conditionné qui ne nécessitera pas d’importer des blocs de glace. (...)

En 1848, sûr de ses premiers essais, John Gorrie fait une demande de brevet. Mais les journaux locaux l’attaquent alors avec véhémence, le New York Globe allant jusqu’à le qualifier de "cinglé qui pense pouvoir fabriquer de la glace avec sa machine, comme Dieu tout puissant". La campagne de dénigrement fut si efficace que les soutiens de John Gorrie abandonnèrent l’idée de financer son invention.

Trois ans plus tard, il reçoit néanmoins le brevet n°8080, pour "la première machine utilisée pour une réfrigération et un air conditionné créés mécaniquement". (...)

Mais la campagne de presse diffamante a fait son effet : quand le Dr John Gorrie meurt en 1855, c’est sans être parvenu à vendre une seule de ses machines.

Le médecin s’était par ailleurs trompé, ou presque, sur la cause de la malaria : ce n’était pas les vapeurs qui transmettaient la fièvre des marais, mais les moustiques qui étaient le vecteur de transmission... et qui mouraient bel et bien quand la température était trop froide. (...)

Les climatiseurs : un problème de santé publique ?

C’est finalement l’ingénieur Willis Carrier qui sera considéré comme l’inventeur de la climatisation... en 1902. L’air conditionné est alors lancé au niveau industriel. (...)

Peu à peu, la climatisation s’installe partout. D’abord dans les grandes chaînes de restauration, puis dans les magasins, les entreprises privées et enfin chez les particuliers... au point d’être devenus un problème de santé publique.

A chaque épisode de canicule dans les grandes villes, les climatiseurs individuels s’arrachent et finissent en rupture de stocks. (...)

"On a estimé qu’à Paris, l’augmentation liée à l’usage massif de la climatisation pourrait augmenter la température, lors des canicules, de 2° C", surenchérissait également Valérie Masson, directrice de recherche de l’équipe climat de Météo France à Toulouse. Dans son rapport publié l’an dernier, l’Agence internationale de l’énergie estimait quant à elle que le nombre de climatiseurs dans le monde allait passer de 1,6 milliard d’unités à 5,6 milliards d’ici 2050… ce qui équivaudra, en matière de consommation d’électricité, à la consommation actuelle, tous secteurs confondus, de la Chine.