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La Nuit debout entre organisation et spontanéisme
Article mis en ligne le 13 avril 2016

Nuit debout continue à grandir et à s’imposer dans l’espace public. Il s’interroge sur les chemins qui s’ouvrent. Et la relation entre démocratie directe et nécessité de s’organiser est vitale : c’est ce qu’a exploré un débat public, mardi 12 avril, entre David Graeber et Frédéric Lordon.

Où va, et comment, Nuit debout ? C’est la question que se posent, de plus en plus nombreux, les participants de ce mouvement inattendu. Elle a été bien formulée mardi soir 12 avril, dans la grande salle de la Bourse du travail, à deux pas de la place de la République. Le débat, organisé par Attac, réunissait David Graeber, anthropologue anarchiste et un des participants d’Occupy Wall Street, à New-York en 2011, et Frédéric Lordon, économiste qui a pris une place visible dans Nuit debout.

David Graeber a commencé par souligner la dimension mondiale des mouvements dans laquelle s’inscrit Nuit debout : « Depuis quinze ans, il y a un mouvement de ré-invention de la démocratie, dans toutes les parties du monde. Les procédures de discussion avec les mains sont nées au Chiapas et au Brésil, avec le Mouvement des sans-terres. Et Occupy Wall Street s’est retrouvé à Honk-Kong et en Turquie. On pourrait parler de la révolution mondiale de 2011 : comme en 1848 et en 1968, personne n’a pris le pouvoir, mais ça a changé le monde ».

Selon l’auteur de Pour une anthropologie anarchiste, il y a là des « espaces qui se structurent en-dehors du système. On crée des alliances avec ceux qui travaillent dans le système, sans compromettre l’intégrité de ces espaces ».

Frédéric Lordon estimait qu’« on est au point où le mouvement doit se poser la question stratégique : que voulons-nous faire ? ». Ce qui pose aussi une question de méthode : « Il ne faut pas que Nuit debout soit totalement absorbé par l’AG (assemblée générale). C’est un poumon essentiel, mais il faut des lieux pour des débats stratégiques, un organe distinct. C’est l’enjeu du moment ». (...)

En anglais, un intervenant observait : « C’est une impasse, le débat entre deux formes de lutte, horizontal et vertical. Il y a une illusion politique : croire qu’on peut changer le monde en votant. Et une illusion sociale : occuper la place, pratiquer la démocratie, et croire que tout le monde dira que c’est fantastique et occupera toutes les places. Il est nécessaire d’occuper la sphère politique, comme l’ont fait Syriza, Podemos, Jeremy Corbyn (leader du Parti travailliste anglais) et Bernie Sanders (candidat Démocrate aux Etats-Unis). Il faut trouver un équilibre entre la démocratie directe et les formes institutionnelles . » (...)

Pour Frédéric Lordon, « Il faut sortir de la contradiction entre organisation et spontané, en refaisant les institutions dans lesquelles on se retrouvera après. C’est pourquoi ré-écrire la Constitution me parait un sujet neuf ». Et de suggérer une méthode : « Je vois un plan téléscopique : la loi El Khomri à un bout, la Constituante à l’autre bout. Entre les deux, on peut choisir les actions, le mouvement téléscopique étant indexé sur la quantité de puissance que nous pouvons rassembler ».

Thomas Coutrot, porte-parole d’Attac, concluait la soirée en appelant à la désobéissance civile, et à la poursuite des mouvements d’occupation de banques que, dans la foulée des Faucheurs de chaise, Attac a commencé.

Sur la place de la République, en sortant, la foule était encore plus nombreuse que la veille. La police avait disparu (s’étant garée sur les boulevards Magenta et Voltaire) et dans la douceur printanière de la soirée, chorale, comédiens, revendications (par exemple, lutte du lycée Ionesco à Issy-les-Moulineaux), discussions et AG continuaient dans la bonne humeur et l’énergie.