
Le samedi 30 juillet 1955, jour de l’Aïd-El-Kebir, suite à une interpellation très houleuse menée par la police, éclate dans le quartier de la Goutte d’Or, à Paris, une « émeute » qui n’est pas sans rapport avec notre actualité. Si le contexte historique est très différent – la guerre d’indépendance algérienne – et si les événements se déroulent dans le centre de la capitale et non dans sa périphérie, il est utile de revenir sur cet événement : l’historien Emmanuel Blanchard en offre ici une analyse complexe, mêlant histoire des quartiers populaires et histoire coloniale. Un travail qui s’inscrit dans une série de recherches sur les politiques d’immigration et sur la police parisienne et les Algériens de 1944 à 1962 [1].
Les émeutes de l’automne 2005 ont donné lieu à un investissement médiatique et éditorial important de la part de sociologues spécialistes de la déviance, de la jeunesse ou des « quartiers sensibles ». Cette floraison de publications et d’interventions s’est pour partie inscrite dans les formes que prend depuis des années le cadrage médiatique de la « question des banlieues » dans les organes de presse les plus diffusés [2]. Cette problématisation spatiale et temporelle conduit les spécialistes du sujet à généralement s’accorder sur une chronologie relativement courte, remontant au tournant des années 1980 et indexée sur les grandes dates de l’histoire des « banlieues » et des projets de « rénovation urbaine » [3].
L’intensité et la durée des émeutes de 2005 ont cependant conduit à solliciter des chercheurs au-delà du cercle des spécialistes de ces questions, favorisant ainsi l’introduction de nouvelles temporalités. La longue période des « révoltes primitives », laissant une large place aux soulèvements populaires des XVIIIe et XIXe siècles [4], a particulièrement été évoquée. Des historiens, spécialistes de la période révolutionnaire, ont apporté leur expertise et leur appréciation sur ce qui était parfois décrit comme une vaste « émotion populaire » [5].
Ces éclairages permettent de ne céder ni au présentisme, ni à l’illusion de l’exceptionalisme, mais ces références historiques s’ancrent dans un passé lointain avec lequel les acteurs actuels n’entretiennent aucun lien direct ni mémoriel. Surtout, ces sauts chronologiques ne permettent pas de questionner l’historicité politique généralement associée aux banlieues. De ce fait, ils s’inscrivent implicitement dans une vision de ces dernières comme espaces anomiques où une « rage », exprimée à intervalles réguliers, serait née du délitement des solidarités propres aux « banlieues ouvrières » désormais disparues [6]. (...)