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La BnF éditrice, confusion des genres, au détriment du domaine public
Article mis en ligne le 12 septembre 2014

Une nouvelle collection de livres numériques constituée à partir d’œuvres appartenant au domaine public vient de paraître sous l’intitulé « BnF collection ebooks ». Cette collection est le produit de la filiale de droit privé de la Bibliothèque nationale de France dénommée « BnF Partenariat » qui veut constituer des « offres numériques à partir des œuvres conservées par la BnF et leur valorisation commerciale ». Une confusion des rôles respectifs des bibliothèques et des éditeurs... qui affaiblit autant les missions des bibliothèques auprès du public que la place de l’édition dans la réhabilitation des œuvres du passé. En toile de fond une interprétation erronée de ce que signifie valoriser le domaine public.

Les bibliothèques ont des missions qui les conduisent à privilégier le libre accès à tous les documents qu’elles possèdent, avec comme seule limite leurs budgets et la conservation des documents rares et précieux. Dans ce cadre, le numérique est un allié majeur pour la diffusion des ouvrages afin de répondre aux attentes des lecteurs d’aujourd’hui. Une autre de leurs missions consiste à organiser les œuvres de façon à ne pas trier, favoriser, modifier les classements pour quelque raison que ce soit, ni idéologique, ni financière, ni au nom d’un « bon goût » quelconque. Elles doivent offrir à chaque œuvre des chances égales de trouver un public intéressé en fonction de ses centres d’intérêt. Une valeur centrale quand les moteurs de recherche ou les médias sociaux privés organisent l’accès en fonction d’algorithmes opaques.

Pour leur part, les éditeurs ont, notamment vis-à-vis du domaine public, une approche totalement différente. Ils doivent au contraire sélectionner quelques œuvres qu’ils seront en mesure de diffuser auprès de leur public, dont ils pourront gérer la promotion, et qu’ils vont adapter aux attentes actuelles en matière de présentation, de typographie, de format... La qualité des éditions ne se mesure pas au nombre de documents rendus disponibles, mais à l’appareil critique, aux illustrations, à la qualité ortho-typographique.

Il s’agit là de deux missions, tout aussi importantes l’une que l’autre, mais différentes dans leurs objectifs, dans le type de travail et la relation au public. (...)

Qu’une collection éditoriale puisse se prévaloir de l’étiquette « Bibliothèque nationale de France » entraîne dès lors une grande confusion, qui est néfaste tout autant aux bibliothèques et à leurs missions de service public qu’aux éditeurs et leur travail de réhabilitation et de promotion. (...)

Faire croire qu’une opération de numérisation ne serait valorisée que par l’édition, qui plus est devant être rentable, met en danger les rapports des bibliothèques avec leurs bailleurs de fonds. Plus philosophiquement, quand une bibliothèque devient éditrice d’œuvres rangées dans ses collections (à la différence de ses catalogues ou expositions), elle passe de gestionnaire du domaine public au service de tous, vers une logique de « propriétaire » du domaine public dont elle décide l’usage. Si elle est en phase avec la logique managériale qui domine notre époque, cette approche n’est pas celle des bibliothécaires. La notion de réseau des bibliothèques, chacun participant à un travail collectif qui le dépasse pour offrir la collection la plus large et efficace (organisation, numérisation, transcodage et catalogage) est un des fondamentaux de la profession. (...)

Pour les éditeurs, qu’une bibliothèque prestigieuse comme la BnF puisse se lancer sur leur marché, va dévaloriser leur travail de sélection et promotion. Au-delà du conflit d’intérêts, c’est la confusion entre la publication (mettre à disposition du public) et l’édition (travailler une œuvre pour que le public la demande et soit satisfait par les conditions de lecture qui lui sont proposées) qui va nuire à l’image globale de la profession. (...)

L’interopérabilité, la capacité à être lu en dehors de toute affiliation à une plateforme, le respect de la liberté du lecteur sont dans la logique des missions définies plus haut. Or la collection de la BnF est diffusée avec des DRM (fnac, chapitre.com,...) ou uniquement en format Kindle sur Amazon. Ce faisant, la BnF, en tant que bibliothèque publique, se trouve participer à un jeu de tric-trac entre plateformes qui dépasse largement ses attributions. (...)

Face à ces constats, il convient de proposer des solutions qui puissent à la fois favoriser les bibliothèques (toutes les bibliothèques), les éditeurs et cette pulsion contributive des individus dont on peut constater chaque jour l’existence.

La première nécessité est de dissoudre BnF-Partenariat, la filiale de la BnF chargée de la valorisation marchande. Le CNRS a longtemps cru qu’une structure marchande comme INIST-Diffusion allait pouvoir valoriser la recherche... jusqu’à ce que l’an passé un audit et une mobilisation montrent qu’il n’en était rien, que les revenus de ce genre de filiale étaient dérisoires en regard des missions des organismes concernés. La décision la plus sage a été prise de recentrer l’INIST comme appui à la recherche du CNRS et d’abandonner la filiale privée. C’est fort de cette expérience que le Ministère de la Culture devrait se prononcer pour que la BnF se recentre sur ses missions et abandonne cet outil de confusion qu’est BnF-Partenariat. Ajoutons qu’au même titre que ce qui s’est passé au CNRS, avoir une direction unique pour l’organisme public et la filiale privée n’est pas sain.

Ensuite, il convient de faire comprendre que le nombre ne fait rien à l’affaire. Les bibliothèques vont numériser en fonction des ressources allouées, mais ce n’est qu’une première étape de la revalorisation du domaine public. Il faut que parmi cette masse on puisse sélectionner et promouvoir certains travaux. Ce rôle peut être celui d’éditeur, d’acteurs individuels, ou d’autres structures... L’accès libre aux données sources (notamment la version texte OCR) est un principe qui va favoriser l’usage culturel des ressources. Et c’est bien cela qui est l’objectif. Changer les licences d’usage, faire que les travaux techniques sur les œuvres du domaine public n’ajoutent aucune nouvelle couche de restriction est essentiel pour étendre la culture et la langue française dans le monde entier.

Enfin, rappeler avec force et inscrire dans la loi que les institutions publiques en charge de la conservation du patrimoine et du domaine public en sont simplement les gestionnaires au profit de tous. Le fonctionnement coopératif des bibliothèques, et dans ce cadre le rôle d’animation et d’entraînement des plus grandes d’entre elles est une valeur centrale des missions de l’accès universel aux publications. Ces valeurs doivent être rappelées en ce moment de passage au numérique, pour ne pas nous laisser aveugler par la technique ou par les promesses des industries du numérique qui calculent en données et oublient la valeur collective du domaine public et du partage de la culture.