La loi Pacte a été adoptée en deuxième lecture par les députés samedi 16 mars. Le volet sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), vidé de sa substance par les sénateurs, a été repris à l’identique de la version initiale des députés. Mais loin de faire l’unanimité, il divise aujourd’hui sur son efficacité. Certains y voyant même un risque de greenwashing.
Au fil de son avancement législatif, le volet sur la transformation des entreprises de la loi Pacte n’en finit pas de susciter le débat. La suppression de l’article 61, sur l’objet de l’entreprise, par les sénateurs avait suscité l’indignation de plusieurs entrepreneurs. Sa réintroduction, à l’identique de la première version votée à l’Assemblée nationale, par les députés éveille maintenant une crainte d’un "mission washing".
L’efficacité de la modification du code civil introduisant la "notion d’intérêt social" dans la gestion des entreprises "en prenant en considération les enjeux sociaux et sociétaux" (1) pose question. Cette modification est présentée par le gouvernement comme une "avancée législative majeure" pour faire progresser la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
Telle qu’elle est formulée, cette modification reste cependant peu engageante juridiquement, selon les ONG, au regard des scandales environnementaux et sociaux liés à l’activité des entreprises. Pour les juristes, elle est même de l’ordre du symbole. "Les tribunaux jugent depuis longtemps que la société doit être gérée dans l’intérêt social et sanctionnent les actes et décisions non conformes à cet intérêt", assure le juriste Dominique Schmidt dans une tribune. (...)
il ne s’agit que d’"une modification à la marge qui reste décevante car la notion d’intérêt social reste floue", souligne l’avocat Daniel Hurstel, auteur avec Antoine Frérot d’un rapport sur le rôle sociétal de l’entreprise pour le club des juristes . "Les obligations des entreprises sont finalement peu claires et, inversement, on ne protège pas suffisamment les organes de gestion vis-à-vis des tiers qui pourraient se plaindre d’un dysfonctionnement de la société, précise-t-il. Nous avons perdu une occasion extraordinaire de faire avancer le droit de façon cohérente".
La raison d’être, un objet juridique non identifié ?
Autre point, celui de la "raison d’être" que les entreprises vont pouvoir insérer dans leurs statuts. Une possibilité qui séduit de nombreux dirigeants, tels qu’Antoine Frérot, PDG de Veolia. Le Medef lui-même, au départ réticent, s’étant plié à l’exercice il y a peu.
Pourtant, si la raison d’être est un concept connu et utilisé par les entreprises depuis longtemps, elle " n’a aucune réalité juridique. (...)
Reste à savoir comment les entreprises définiront exactement leur raison d’être et s’en serviront pour aligner actions et stratégie. Une enquête récente du Boston Consulting Group (BCG) montre que cette démarche est davantage perçue comme un levier de réputation bien plus que de RSE par les directeurs communication présents au COMEX... Or, les entreprises qui déconnecteraient leur raison d’être de la réalité de leurs opérations pourraient se voir accuser de "publicité trompeuse", passible de sanctions civiles et pénales, selon la députée.
Dans une tribune publiée par Le Monde le 15 mars, le nouveau "collectif des entreprises à raison d’être" propose d’ailleurs "une méthodologie de concertation et de décision pour mieux exploiter les nouvelles possibilités offertes par la loi Pacte" et éviter de verser dans la seule communication.
Les entreprises à mission : inutiles ?
Enfin, la loi Pacte va permettre un nouveau statut juridique pour les "entreprises à mission"voudraient intégrer des objectifs sociaux et environnementaux dans leur objet social. Si ce nouveau statut séduit une frange de plus en plus importante d’entreprises (une centaine se sont déjà regroupées dans la communauté des entreprises à mission), il commence toutefois à faire grincer des dents certains acteurs qui y voient un risque de greenwashing.
Dans une tribune publiée le jour de l’adoption du texte en deuxième lecture par les députés, une coalition d’associations, de syndicats, d’entreprises de l’ESS (économie sociale et solidaires) et d’investisseurs éthiques assure même qu’il s’agit d’une "fausse bonne idée". Les signataires y voient plusieurs problèmes : l’ajout d’un nouveau statut non nécessaire, le risque de confusion avec les entreprises de l’ESS, un risque de voir les filiales de grands groupes érigées en vitrines RSE dans une logique de "mission washing". Pire, elles craignent de voir les sociétés n’optant pas pour un tel statut prendre plus faiblement en compte leur responsabilité sociétale.
Telle que rédigée, la loi "évalue uniquement la mission de l’entreprise sans prendre en compte son impact, ce qui constitue une lacune majeure de ce projet de loi et risque de décrédibiliser les sociétés à mission. Il faudrait s’assurer que cette évaluation soit reconnue sur le plan international, avec la présence d’indicateurs communs et harmonisés à un même secteur, pour comparer l’impact socio-environnemental des entreprises entre elles et distinguer les sociétés classiques des sociétés réellement engagées", selon l’avocate Alissa Pelatan, fondatrice du cabinet AMP avocats, spécialisé sur les entreprises sociales (B-corp, SOSE, Entreprise de l’ESS, agrément ESUS ). (...)
Le texte va désormais faire une ultime navette en avril avec le Sénat, avant son adoption définitive par l’Assemblée nationale. Pour la quasi-totalité des articles du projet de loi, les députés sont revenus à leur version, supprimant les modifications des sénateurs.