
(...) Le plus marrant dans cette histoire de beurre, c’est que si tout le monde parle spontanément de pénurie — selon le champ sémantique mis en place par les médias dès le début de la crise — il suffit de lever un sourcil en accent circonflexe pour que l’interlocut⋅eur⋅rice corrige immédiatement avec un la soi-disant pénurie de beurre. Comme quoi, la bonne info finit toujours par se répandre, y compris par capillarité.
Les voleurs de valeur
Devant donc la prise d’otage des consommateurs de beurre par la grande distribution, la résistance s’est rapidement organisée.
Je voulais acheter un extracteur de crème pour mon compagnon — il y en avait plein encore, il y a deux semaines —, mais hier, les rayons étaient vides, le magasin avait été dévalisé, m’informe-t-elle
Il faut dire que ma maraichère vit en couple avec un éleveur de vaches. Lui aussi, devant les montants dérisoires auxquels les coopératives et grossistes entendent acheter le fruit de son travail, s’est mis à penser à la boucle locale. Plutôt que de vendre quasiment à perte ses animaux, il a tenté récemment de proposer aux clients de sa conjointe de se réunir à plusieurs pour acheter une bête sur pied, tuée dans un abattoir local (enfin, tant qu’il en reste… autre histoire d’ultraconcentration en vue), découpée sommairement et répartie ensuite entre les familles participantes. Une très bonne affaire pour tout le monde… et même un peu pour la vache, qui ne part pas dans un périple invraisemblable et concentrationnaire pour être abattue moins cher en Allemagne, découpée encore moins cher ailleurs en Europe, puis emballée encore chez d’autres pauvres diables avant de revenir dans un triste rayonnage aux néons, à un prix qui éliminera plus de 50% de la population d’office.
L’éleveur y trouve donc une meilleure rémunération de son travail, les familles retrouvent une partie de la culture campagnarde des provisions faites en commun, le tout pour une alimentation moins chère et de meilleure qualité.
Du coup, le conjoint éleveur commence à penser à se passer aussi d’intermédiaires confiscateurs pour sa petite production de lait. D’où l’extracteur de crème et les premières tentatives de produire, pour commencer, de petits fromageons 100% vaches gasconnes. Je trouve bien sûr toute cette stratégie industrieuse et localière des plus réjouissante (...)