
Pour Céline, lanceuse d’alerte poursuivie en diffamation par son ancien employeur après avoir signalé les mauvais traitements dont elle déclare avoir été le témoin lorsqu’elle travaillait dans un institut médico-éducatif (IME) où résident des enfants, des adolescents et adultes polyhandicapés, mardi 21 novembre sera peut-être l’issue d’un long parcours du combattant, débuté il y a presque 10 ans.
Pour Céline, lanceuse d’alerte poursuivie en diffamation par son ancien employeur après avoir signalé les mauvais traitements dont elle déclare avoir été le témoin lorsqu’elle travaillait dans un institut médico-éducatif (IME) où résident des enfants, des adolescents et adultes polyhandicapés, mardi 21 novembre sera peut-être l’issue d’un long parcours du combattant, débuté il y a presque 10 ans. (...)
le Tribunal correctionnel de Toulouse rendra son jugement, après deux mois de délibéré. Retour sur une lutte citoyenne exemplaire pour tenter de briser la loi du silence.
Céline, tu es à la veille du dénouement d’une lutte citoyenne contre la maltraitance que tu mènes depuis des années. Peux-tu retracer pour nous le parcours de cette lutte ?
En 2008, quand je suis rentrée dans cet institut, je n’étais pas formée. J’ai passé le concours d’entrée pour être « aide médico-psychologique » et là j’ai très vite vu des choses qui me gênaient. Mais j’étais en cours de formation, je voyais des choses, je supposais que ça n’allait pas, mais je n’avais pas encore la formation pour comprendre exactement ce qu’il se passait.
J’ai finalement lancé l’alerte auprès de l’ARS en mai 2013 et il y a eu une inspection. En parallèle, parce que je voulais que ça avance plus vite, j’ai fait des courriers à l’ensemble des ministres concernés, j’ai alerté les pouvoirs publics dans le département, à la région. Et puis j’ai eu la chance de croiser Philippe Croizon, le nageur de l’extrême, qui a remis le dossier en main propre à François Hollande et Valérie Trierweiler en septembre 2013.
En novembre 2013, suite à la médiatisation de cette affaire et à la parution du rapport de l’ARS, Marie Arlette Carlotti, alors ministre déléguée aux Personnes handicapées, a mis l’établissement sous administration provisoire et recommandé la mise en place d’une équipe de direction renouvelée. Mais dans les faits, l’équipe de direction n’a pas été changée.
De notre côté, quand on a pu lire le rapport de l’ARS et qu’on a vu qu’il confirmait qu’il y avait bien « de graves dysfonctionnements » et « une situation de maltraitance institutionnelle », on s’est dit que ça allait enfin évoluer. Mais pas du tout ! Cette médiatisation et le rapport qui a été rendu public ont amené 7 mois d’enfer. Les insultes publiques ont commencé, sur Facebook d’abord, où tout le monde pouvait les voir, y compris mes enfants. Et à partir de là, ça a été crescendo. (...)
j’ai même dû faire partir mes enfants, en pleine période scolaire, pour les mettre à l’abri. Ca devenait tellement infernal que j’ai fini par partir aussi, même si j’avais obtenu, entre temps, une mesure de protection de la Préfecture qui demandait un passage régulier de la gendarmerie. Mais c’est arrivé trop tard, c’était vraiment devenu invivable. J’ai dû tout solder et donner quasiment tous mes meubles pour pouvoir rejoindre mes filles rapidement, je me suis retrouvée sans rien… Quand je suis revenue à Agen, quelque temps après, je n’avais rien, pas de maison, pas de meubles, j’étais à la rue avec les enfants. Il faut vraiment être solide pour supporter tout ça, c’est extrêmement violent.
En octobre 2014, on a monté l’association Handignez-Vous qui regroupe des parents et des professionnels témoins ou victimes de graves dysfonctionnements et on a très vite été sollicités au niveau national. Là, on s’est rendu compte à quel point on avait eu raison de monter cette association, parce qu’évidemment, ce ne sont pas tous les établissements qui sont concernés, en revanche, quand ça dysfonctionne, c’est souvent de façon très grave, au détriment de personnes vulnérables en situation de handicap et de leurs familles.
Et puis, en septembre 2015, j’ai été mise en examen pour diffamation à l’encontre de l’IME de Moussaron pour des propos tenus dans deux émissions où j’évoquais les conditions d’accueil des résidents. Le procès a eu lieu le 19 septembre 2017 et le jugement sera rendu demain. (...)
dans les faits, être un lanceur d’alerte ou une lanceuse d’alerte aujourd’hui c’est d’abord être dans une terrible solitude, c’est un suicide moral, financier, social, familial et c’est aussi être considéré comme un délateur. Mais tu sais, on ne se lève pas un matin en se disant, tiens, je m’ennuie, je vais enquiquiner mon employeur. Ce n’est pas un métier lanceur d’alerte, on l’est devenu malgré nous.
Parler, c’était un cas de conscience pour toi ?
C’était surtout une question d’éthique, de valeur et d’humanité. Je ne me serais pas vue fermer les yeux sur ça. Mais au départ, franchement je n’avais pas conscience de tout ça. Lanceuse d’alerte c’est venu après, c’est parce qu’on m’en parlé, parce qu’on m’a dit que j’étais une lanceuse d’alerte.
Toi, tu fais ça parce que tu ne peux pas faire autrement. J’ai dénoncé cette situation parce qu’humainement ce n’était pas possible. Au 21ème siècle tu ne peux pas asseoir des gamins sur des seaux, tu ne peux pas les enfermer dans 3 m2, tu ne peux pas assister à des points de suture refaits à vif… Non, ça n’est pas possible ! Ce sont des être humains. Des adolescents, des adultes, ce sont des personnes vulnérables. Qui es-tu professionnellement, humainement, si tu acceptes ça ? (...)
A partir du moment où tu lances l’alerte, il y a tout un système qui se met en place pour te briser, pour te broyer, que tu te taises et que tu n’aies plus aucun moyen de te défendre, ni juridique, ni financier. On te met au ban de la société. En fait, tu es un paria. Alors que tu n’as fait que ton job. C’est horrible comme situation. Mais c’est exactement c’est ce que j’ai vécu pendant de nombreux mois. Et l’histoire de dingue, c’est que ça paraît tellement fou que quand tu en parles, on ne te croit pas.
Moi j’ai de la chance, parce que contrairement à d’autres, je ne suis pas seule. J’ai lancé l’alerte seule, mais au fil des années, on a réussi à fédérer des associations, des syndicats, un mouvement politique. Loin de tous clivages, c’est l’humain qui a compté avant tout. Mais ce n’est pas le cas de tous les lanceurs d’alertes. Tous ceux que je connais, ils sont seuls, ils n’ont personne et ils sont en train de mourir à petit feu. (...)
c’est paradoxal, mais finalement, je remercie l’IME de Mousseron. Tout ce qu’ils m’ont fait endurer, à ma famille aussi, tout ce qu’on a subi, de la part de l’IME, de la part du système et de tous ceux qui ont permis que cela arrive, tout ça a fait de moi la militante que je suis aujourd’hui. Parce que face à l’injustice, face au système qui essaye de te broyer, quand tu perds des amis, des camarades, tu n’as pas d’autre choix que résister, prendre les armes que tu as et te battre si tu ne veux pas mourir socialement, psychologiquement. (...)
Pour moi, j’ai déjà tout gagné. Quel que soit le verdict demain, je peux me regarder dans une glace le matin et me dire que je n’ai pas participé à tout ça, que j’ai tout fait, comme quelques autres en leur temps, pour que ces enfants soient traités de manière digne et juste. Et ça, c’est inestimable.
La rédaction du Journal de l’insoumission appelle au rassemblement organisé par le comité de soutien à Céline Boussié, mardi 21 Novembre 2017, à partir de 13 heures devant le Tribunal de Grande Instance, 2 Allée Jules Guesde à Toulouse.
Si vous ne pouvez pas vous déplacer, vous pouvez signer la pétition en ligne : Lutte Contre la Maltraitance : Soutenons Céline Boussié ! et apporter une contribution (même minime), pour l’aider à faire face aux frais de justice : Ensemble, soutien à Céline Boussié, Lanceuse d’alerte