
Cocotiers, vahinés, ciel et plages paradisiaques et « bons sauvages » telles sont les images médiatiques dominantes de la Polynésie dite « française ». Lorsque nos médias dominants abordent cette colonie composée de cinq archipels c’est pour dessiner l’image d’un « paradis métis » ou d’une colonisation réussie par le mélange des populations. La majorité des polynésiens ne partagent pas cette vision et le mouvement indépendantiste a réussi à inscrire la Polynésie dans la liste des territoires à décoloniser.
Le 17 mai 2013 l’assemblée générale des Nations-Unies adoptait une résolution affirmant « le droit inaliénable de la population de la Polynésie française à l’autodétermination et à l’indépendance » et exigeant du gouvernement français de « faciliter la mise en place d’un processus équitable et effectif d’autodétermination [1] ». Malgré plusieurs autres résolutions allant dans le même sens, la France fait la sourde oreille et refuse d’organiser un référendum d’autodétermination. Essayons de comprendre pourquoi en resituant la Polynésie dans ses contextes historiques, économiques et géostratégiques.
Les violences de la conquête
Les raisons économiques ne sont pas les premières dans la décision de coloniser les archipels qui forment aujourd’hui la Polynésie dite « française ». La première causalité est à rechercher du côté de la géostratégie et de la rivalité avec l’autre grande puissance coloniale de l’époque, le Royaume Uni. L’historien Renaud Meltz de l’université de Polynésie résume comme suit les conditions de la colonisation pour les « Îles sous le Vent ».(...)
François Guizot, ministère des Affaires Étrangères définit comme suit la stratégie française dans la région le 31 mars 1843 : « posséder sur les points du globe qui sont destinés à devenir de grands centres de commerce et de navigation des stations maritimes, sûres et fortes, qui servent d’appuis à notre commerce [3]. » Cette stratégie se heurte à la puissance dominante de la région qu’est le Royaume Uni avec ses possessions d’Australie, de Tasmanie et de Nouvelle-Zélande. L’époque est celle des marchandages où ces deux grandes puissances se partagent le monde. Ce type de marchandage conduit par exemple à l’annexion de la Nouvelle-Zélande en 1840 (Traité de Waitangi entre la Couronne britannique et la confédération des tribus de Nouvelle-Zélande) avec en compensation pour la France l’autorisation d’instaurer par la force un protectorat sur Tahiti en 1842.
En dépit du déséquilibre des forces militaires, la résistance Tahitienne durera de 1843 à 1847. La violence des combats est telle que l’on retrouve encore aujourd’hui des obus datant de cette guerre (...)
La résistance sera écrasée, les quelques milliers de combattants polynésiens armés de fusils se trouvant confrontés à une armée françaises disposant de cinq navires de guerre pouvant bombarder les positions polynésiennes.
Le scénario de la conquête est identique pour les Marquises. (...)
Là aussi la violence de la conquête s’accompagne de résistances en 1842 à Vaitahu, en 1844 à Haapa, en 1846 à Pakoko (...)
La troisième république parachève cette « œuvre » coloniale en annexant purement et simplement Tahiti en 1880 puis les îles Gambier en 1881, les îles sous le Vent en 1887 et les îles australes en 1902. L’ensemble de ces îles sont dès lors regroupées au sein des Etablissement Français d’Océanie (EFO) qui seront renommés « Polynésie française » en 1957.
Mais « l’œuvre » de la conquête ne s’arrête pas aux violences militaires et à l’imposition d’une tutelle coloniale. Elle se décline également en épidémies périodiques provoquant une mortalité importante. (...)
La bombe nucléaire coloniale
Comme les autres colonies la Polynésie française est soumise au code de l’indigénat (travail forcé, réquisition, justice d’exception, etc.) jusqu’en 1946. Elle connaîtra également une renaissance de la résistance anticoloniale à l’issue de la seconde guerre mondiale. La figure de Pouvana’a a Oopa Tetuaapua le leader du Rassemblement Démocratique des Populations Tahitiennes (RDPT) fondé en 1949 symbolise cette résistance.(...)
Surnommé par son peuple « le père » Pouvana’a a Oopa Tetuaapua est victime de la « raison d’État » dans un contexte historique où la guerre d’Algérie fait craindre à De Gaulle la perte du terrain d’expérimentation des essais nucléaires français. « Dès 1958, et avant même les essais sahariens, la Polynésie française avait été choisie comme site de remplacement. De là découlait une autre interrogation : l’élimination de Pouvanaa ne correspondait-elle pas à la nécessité de se débarrasser d’une force politique susceptible de gêner le CEP (Centre d’Expérimentation du Pacifique) [8] » s’interroge l’historien Jean-Marc Regnault.
L’indépendance algérienne accélère la décision de mise en place du CEP qui dès sa création en 1962 se concrétise par l’arrivée de plusieurs milliers de militaires et de techniciens à Mururoa, Fangataufa, Hao et Papeete. (...)
Quant aux travaux qui concrétisent l’ouverture du CEP sur cette base quelques chiffres permettent de se rendre compte de leurs ampleurs et de leurs conséquences : « Sur la base avancée de Hao, l’aéroport a nécessité l’abattage de 7 700 cocotiers, le déplacement de 880 000 m3 de corail, la pose de 100 000 tonnes d’enrobés de bitume, 22 000 m3 de béton, et 4000 tonnes d’acier cependant que l’approfondissement de la passe d’accès pour les navires a imposé l’évacuation de 50 000 m3 de corail [9] » résume l’économiste Gilles Blanchet. Les autres sites connaissent également des bouleversements de grande ampleur faisant connaître brusquement à la Polynésie dite « française » et à ses habitants un bouleversement complet de sa structure économique et sociale.
L’installation du corps étranger qu’est le CEP se traduit rapidement par une crise des productions traditionnelles (phosphate, vanille, Coprah, café vert, nacre) c’est-à-dire par une dépendance coloniale accrue à l’égard de la France. Les conséquences sanitaires et écologiques des 46 essais nucléaires atmosphériques s’étalant de 1966 à 1974 puis des 150 essais nucléaires jusqu’en 1996 sont également désastreuses.(...)
Tous les effets de ces essais ne sont pas encore évalués et tous les documents ne sont pas encore déclassifiés. Cependant les informations disponibles font craindre le pire et de manière durable. (...)
Le leader indépendantiste Oscar Temaru qualifie à juste titre ces essais de « crime contre l’humanité » et l’église protestante Maohi a décidé en août 2016 de porter plainte à la cour internationale de la Haye « Pour toutes les conséquences des essais nucléaires, et pour son mépris face à toutes les maladies endurées par les Polynésiens [12] »
A deux reprises en 1987 et en 1995 des émeutes éclatent à Papeete et une partie de la ville est à chaque fois incendiée. Indirectement en 1987 et directement en 1995 les essais nucléaires français sont à la source de ces émeutes.(...)
Les émeutes de 1995 sont quant à elles directement en lien avec l’annonce de la reprise des essais nucléaires par l’État français. La manifestation de protestation des syndicats indépendantistes contre la reprise des essais nucléaire dégénère en émeute pendant 24 heures avec comme résultat la destruction à 90% de l’aéroport de Tahiti-Faa et l’incendie d’une partie importante du centre-ville. Enfin les essais nucléaires français en Polynésie sont la cause d’un acte de terrorisme d’État le 10 juillet 1985. Ce jour-là l’ordre de détruire le « Rainbow Warrior », un navire de l’association Greenpeace mouillant dans le port néo-zélandais d’Auckland, est donné [14].
L’enjeu économique et stratégique de la Zone Économique Exclusive maritime (ZEE)
Les partisans du maintien de la colonisation française insistent fréquemment sur la soi-disant « absence d’enjeux économiques » d’un territoire d’à peine 4 200 km2 c’est-à-dire de la taille d’un petit département de l’hexagone. Le fait que les cinq archipels constituant la Polynésie dite « française » ne possèdent pas de minerais stratégiques est également invoqué pour refuser le qualificatif de « colonie » à l’occupation française. Enfin le fait que population n’est que de 175 000 habitants répartis de surcroit sur des dizaines d’îles dans un espace de 2 millions de kilomètres carrés est aussi mis en avant pour arguer de l’inadéquation du concept de colonie à la situation polynésienne.
Ces arguments fallacieux consistent en fait à réduire le concept de colonie à une de ses formes afin d’échapper au discrédit historique qui touche la colonisation capitaliste depuis les luttes de libération nationale de la seconde moitié du vingtième siècle. La colonisation est en fait la mise en dépendance imposée par la force d’un pays ou d’une nation au service des intérêts de la puissance occupante. Ces intérêts peuvent être économiques ou géostratégiques mais dans les faits ils sont toujours directement ou indirectement économiques.(...)
La France ignore les Nations-Unies
Depuis la réinscription par les Nations-Unies de la Polynésie dans la liste des territoires à décoloniser en 2013, l’organisation internationale a réaffirmé sa position à plusieurs reprises. Rappelons que c’est une résolution de l’Assemblée de la Polynésie « française » approuvé à la majorité le 18 août 2011 qui demande à son président d’agir pour cette réinscription. (...)
La réaction française à ces positions onusiennes est identique à celle qu’elle a tenue pendant la guerre d’Algérie : elle dénonce une « ingérence flagrante » des Nations-Unies dans les affaires intérieures française. (...)
La situation est de fait bloquée et le déséquilibre dans le rapport des forces empêche toute solution à court terme. L’injustice coloniale peut ainsi perdurer longtemps si les revendications des indépendantistes polynésiens ne sont pas appuyées par des mobilisations anticolonialistes puissantes en France. Nous en sommes très loin et cela contribue à notre propre asservissement car comme le soulignait déjà Marx : « Un peuple qui en opprime un autre ne peut être libre ».