
Avec le réacteur EPR, Areva n’en est pas à son premier ratage dans le domaine de l’ingénierie nucléaire. Le groupe nucléaire français a connu un incroyable fiasco à Tchernobyl (Ukraine). Un épisode peu glorieux sur lequel la presse ne s’est pas beaucoup attardée.
Au cœur de la zone interdite, à seulement 2,5 kilomètres des ruines du réacteur n°4 de Tchernobyl, se trouve un étrange empilement de boîtes en béton et deux barres couchées, percées de multiples ouvertures ovales filant sur des centaines de mètres. Cet ensemble hétéroclite se nomme ISF2[1] pour « Installation de stockage temporaire de combustible usé n°2 ». C’est un centre de stockage de déchets nucléaires qui a été commandé par l’Ukraine à Areva. Le groupe nucléaire français y a fait une erreur de conception majeure qui a rendu l’installation inexploitable. Ce centre jugé par la communauté internationale aussi vital pour la sûreté nucléaire de Tchernobyl que la mise en place de l’arche géante au-dessus du réacteur accidenté n’a toujours pas démarré aujourd’hui, en grande partie à cause des erreurs initiales d’Areva.
Après l’explosion du réacteur n°4 de Tchernobyl il y a 29 ans, la centrale nucléaire qui accueillait trois réacteurs supplémentaires a continué à fonctionner pendant plus de 14 ans[2]. Le démantèlement de ces trois réacteurs et la gestion de leurs déchets est l’autre grand chantier pour la sûreté nucléaire de Tchernobyl, parallèlement au chantier de l’arche géante qui doit couvrir le « sarcophage » du réacteur détruit.
Areva s’engage à fournir « clé en main » un centre où seront stockés pendant au moins 100 ans les combustibles nucléaires usés des réacteurs n°1, 2 et 3 de Tchernobyl (...)
Trois ans après le lancement des travaux, l’Ukraine arrête subitement le chantier mené par Areva à cause de « défauts de conception remettant en cause la sûreté en fonctionnement du centre de stockage » (...)
L’arrêt du chantier s’explique par « des écarts entre les décisions techniques d’Areva et les spécifications techniques requises pour la gestion des assemblages de combustible usé » selon un représentant des autorités ukrainiennes. Areva ne redémarrera jamais le chantier.
Selon un porte-parole du gouvernement ukrainien, Areva n’a pas pris en compte dans la construction d’ISF2 le séchage du combustible usé avant son conditionnement dans des emballages fermés hermétiquement (les combustibles nucléaires usés à Tchernobyl sont tous stockés sous eau en piscine). Il y a de l’eau dans les gaines qui enferment les pastilles de combustible nucléaire. Or la présence d’eau dans un stockage étanche contenant des déchets nucléaires est très gênante : elle peut dégrader l’emballage et provoquer des rejets de radioactivité dans l’environnement. Une situation à éviter impérativement pour entreposer le plus sûrement possible les 21 000 assemblages de combustibles nucléaires très radioactifs de Tchernobyl. (...)
L’installation d’Areva est inexploitable à cause d’un défaut de conception rédhibitoire
Ce défaut de conception rédhibitoire oblige à revoir toute l’ingénierie nucléaire de l’installation d’Areva. Le centre est sorti de terre mais est totalement inexploitable. D’autres défauts de construction seront découverts. Un représentant de la centrale de Tchernobyl a confié au Journal de l’énergie sous couvert d’anonymat que certaines ouvertures dans l’installation conçue par Areva ne possédaient pas les dimensions requises pour déplacer le combustible d’un endroit à l’autre. Dans le rapport de sûreté nucléaire ukrainien daté de 2007, il est noté que le béton de certains modules de stockage de l’installation comportait des fissures dues à des malfaçons dans la construction. (...)
En juillet 2005 à l’annonce du surcoût et du retard démesurés, les pays donateurs qui financent ce projet rejettent la solution d’Areva et demandent la réalisation d’un audit indépendant pour démêler les responsabilités dans les défauts du centre de stockage. En octobre 2005 le contrat d’Areva est suspendu.
Les conclusions d’un audit indépendant accablent Areva
L’audit confié à la société suédoise SKB International est achevé en janvier 2006 et ses conclusions sont sans appel pour Areva. Si le rapport pointe la gestion floue du projet par l’entreprise d’Etat ukrainienne et des irrégularités juridiques, il est accablant pour le groupe nucléaire français. (...)
Suite à la résiliation de son contrat, Areva doit alors verser une compensation d’environ 45 millions d’euros à l’Ukraine (...)
La précipitation d’Areva dans ce projet a eu des conséquences négatives sur la sûreté nucléaire de Tchernobyl (...)
Le contrat d’Areva est repris par Holtec International en septembre 2007. Afin de prendre en compte le séchage des combustibles avant entreposage, trois années seront nécessaires à l’entreprise américaine pour revoir complètement la conception de l’installation. La nouvelle installation conservera les structures de béton construites par Vinci et Bouygues, ainsi que certains équipements. Le chantier a seulement repris en octobre 2014, 14 ans après son démarrage et 11 ans après l’arrêt du chantier mené par Areva. Le coût total du centre de stockage a quasiment quadruplé entre-temps, il est estimé provisoirement aujourd’hui à plus de 300 millions d’euros et l’ouverture de l’installation devrait avoir lieu au plus tôt entre 2017 et 2018. D’ici là les Ukrainiens croisent les doigts pour que la piscine où plus des trois quarts des combustibles nucléaires usés de la centrale reposent ne subisse pas une panne de refroidissement. (...)