
Gaz lacrymogènes, balles en caoutchouc, retrait social, souffrance psychologique… Telles sont quelques unes des "rétributions" que les militants israéliens anti-occupation tirent de leur engagement aux côtés des Palestiniens dans les Territoires occupés. Contre toute attente pourtant, ils ont choisi de s’investir dans cette cause que d’aucuns qualifient de "perdue", appelant à un retrait total de l’armée israélienne et à l’évacuation de l’ensemble des colonies juives des Territoires.
Mais pourquoi s’engager contre son camp ? C’est à cette question que Karine Lamarche, chercheuse en sciences sociales, a tenté de répondre, en étudiant l’itinéraire de ces militants, dans le cadre de sa thèse de doctorat, dont cet ouvrage constitue une version condensée.
Document rare, riche en témoignages issus des nombreux entretiens biographiques réalisés par Karine Lamarche avec ces Israéliens, Militer contre son camp. Des Israéliens engagés aux côtés des Palestiniens s’attache à décrypter les raisons de cet engagement singulier, ainsi que le maintien dans une mobilisation "contre-nature". (...)
Au-delà des risques encourus sur le terrain, les militants israéliens anti-occupation font l’objet d’une "condamnation sociale" de la part de leurs concitoyens. Tantôt qualifiés de "belles âmes", de naïfs, tantôt de "traîtres" propageant un discours antipatriotique au sein de leur propre "camp", ces militants sont des outsiders de la société israélienne, observe Karine Lamarche, reprenant ici une catégorie chère à Howard Becker3. Ce statut d’outsider est bien dû à leur positionnement idéologique, car leur profil n’en fait pas des outsiders au sens socio-économique, puisqu’ils sont généralement fortement diplômés et issus des catégories socio-professionnelles supérieures (nombre d’entre eux sont des universitaires). (...)
Cette seconde génération de militants, engagée dans les années 2000, se caractérise par son hostilité franche envers Tsahal, institution centrale en Israël, et son attitude critique à l’égard du sionisme, ainsi que par ses contacts avec les Palestiniens. Aussi opèrent-ils ce que Karine Lamarche nomme une "double transgression", en se confrontant à l’armée, d’une part, et en passant du côté palestinien, d’autre part. Les premières confrontations avec l’armée israélienne aux côtés des Palestiniens sont d’ailleurs lourdes de sens pour ces militants. Elle constitue souvent la véritable "conversion" de ces derniers. Il ne s’agit pas seulement de passer dans les Territoires occupés. Cette entrée en militantisme représente aussi le franchissement d’une "frontière mentale", une remise en question de ses propres certitudes et du récit national israélien. (...)
Tout au long de l’ouvrage pointe d’ailleurs le fort décalage entre le changement engendré par cet engagement au plan individuel, ses répercussions importantes sur la vie des militants, d’une part, et le faible impact de ce militantisme au plan politique, d’autre part. Ces militants contre leur camp, conclut Karine Lamarche, mettent malgré tout "du sable dans les rouages d’une machine bien huilée", en parvenant à "en enrayer ponctuellement ou localement le fonctionnement".