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Mediapart
L’histoire du meeting fantoche de Valérie Pécresse
Article mis en ligne le 6 juin 2021

En août 2019, Valérie Pécresse organise le meeting le plus important de l’histoire de son parti politique, Libres !, à Brive-la-Gaillarde. Derrière la foule de 1 500 personnes se trouvaient en réalité des contingents entiers de faux militants rameutés tous frais payés depuis Paris et issus d’associations communautaires, selon notre enquête. Certaines de ces structures sont financées par la région Île-de-France, que préside Mme Pécresse.

Il est des instants décisifs dans une carrière politique. La rentrée politique de Valérie Pécresse, le samedi 31 août 2019, est assurément de ceux-là.

Ce jour-là, à Brive-la-Gaillarde (Corrèze), la présidente de la région Île-de-France organise son premier grand rassemblement depuis qu’elle a quitté Les Républicains (LR) quelques mois plus tôt, au lendemain de l’échec du parti de droite aux européennes. (...)

Valérie Pécresse monte sur scène à 15 h 15. Large sourire et pouces levés. « Nous sommes plus de 1 500 ! » Impressionnant : à l’autre bout du pays, les LR, malgré leurs moyens, ne sont que 400... « Si aujourd’hui vous cherchez des militants de droite, c’est ici que ça se passe ! », exultent les porte-parole de Libres !. Pari gagné. En façade du moins. Car, en réalité, tout cela relève d’une mise en scène habile.

En effet, selon une enquête de Mediapart, une bonne partie des personnes réunies le 31 août 2019 à Brive n’étaient pas des militants, ni même des sympathisants de Valérie Pécresse, mais des habitants de la région Île-de-France, membres ou issus des réseaux d’associations communautaires, invités tous frais payés à passer une journée en Corrèze.

Leur venue s’est faite par l’entremise d’associations (Fédération de Wallis-Futuna, Union des Serbes de France, Parti panafricain, mouvement d’opposition cambodgien, etc.) implantées en Île-de-France, la région que dirige Valérie Pécresse depuis 2015.

L’opération s’est déroulée sous la houlette de l’un des vice-présidents de Mme Pécresse, le puissant Patrick Karam, chargé de la vie associative et du sport, qui détient par ce biais un levier important sur les subventions régionales.

Plusieurs associations dont sont issus les faux « militants » mobilisés pour gonfler les rangs du rassemblement ont vu leurs subventions augmenter sous la présidence de Mme Pécresse. (...)

Parties de la gare d’Austerlitz, à Paris, à 6 h 38 du matin, des centaines de personnes ont été acheminées sur les lieux du meeting dans un train spécialement affrété pour l’occasion. Contactées par Mediapart, plusieurs d’entre elles se sont rendues à Brive pour profiter d’une journée à la campagne gratuite, transport et repas offerts, sans adhérer aucunement au programme et aux idées de Mme Pécresse.

D’autres, généralement à la tête d’associations, ont confirmé qu’elles avaient participé à l’excursion, en rameutant leurs troupes, dans l’objectif de s’attirer les faveurs de la présidente de région.

Questionnée sur cette situation par Mediapart, Valérie Pécresse répond qu’il « n’y a aucun lien entre le financement de ces associations [par la région — ndlr] et [s]on activité politique ». « D’ailleurs, ajoute l’élue, les associations que vous citez sont clairement apolitiques, mêlant des personnalités de droite et de gauche, financées pour certaines par l’État ou la mairie de Paris. »

« Il y a une étanchéité totale entre la région et Libres ! », affirme aussi le directeur général du parti, Jean-Didier Berger. En ce qui concerne le financement de l’opération, M. Berger confirme que le mouvement « a pris en charge les transports et le casse-croûte des courageux qui se sont levés à 5 heures du matin pour venir dès le début de la matinée des débats politiques ».

Le vice-président Patrick Karam explique pour sa part qu’en tant que responsable de Libres !, il a « convié tous [ses] contacts et relayé auprès de [ses] contacts » l’invitation à participer au meeting de Brive. « Libre à chacun d’y répondre ou pas », ajoute-t-il, en précisant que « l’invitation mentionnait bien l’objet de la réunion politique ». (...)

« De ce que j’ai vu, c’était plus une sortie de groupe, histoire de s’aérer. Il y en a peut-être qui étaient partis pour Mme Pécresse, mais sinon, honnêtement, je pense que la majorité y allait plus pour s’évader », confirme d’ailleurs sans détour une femme membre d’une association culturelle cambodgienne.

Un autre, également membre de la communauté cambodgienne, parle aussi d’une journée pour aller se balader à la campagne. Étranger travaillant en France, cet homme aimerait bien participer à la vie politique française mais n’a pas la possibilité de voter aux élections.

« Valérie Pécresse est contre le droit de vote des étrangers en France ? », semble découvrir un autre de ses compatriotes, qui doit aussi ignorer que la présidente de région a fait de la suppression de la solidarité transport aux sans-papiers un de ses combats.

Un autre Cambodgien installé en France, âgé de 41 ans, explique être allé au rassemblement « en observateur ». D’ailleurs, il ne saurait dire si Valérie Pécresse est de droite ou de gauche (...)

Toutes ces personnes disent avoir été sollicitées par Ton-Tona Khul, adjoint à la mairie de Villepinte (Seine-Saint-Denis) et candidat sur la liste de Valérie Pécresse.

M. Khul, qui travaille depuis plusieurs années en lien étroit avec Patrick Karam et participe à l’organisation du nouvel an lunaire à la région, confirme à Mediapart avoir activé les réseaux associatifs asiatiques pour les inviter à Brive. « La majorité sont quand même des soutiens de Valérie Pécresse », affirme-t-il.

« Même si des personnes ne partagent pas les idées de Valérie Pécresse, elles partagent sa personnalité. Elle dégage quelque chose de respectueux. […] Nous sommes membres d’une communauté asiatique, donc on respecte la personne avant tout », abonde un autre associatif.

Une partie de la délégation cambodgienne a aussi été mobilisée via l’antenne française du CNRP, la principale force d’opposition au dictateur Hun Sen, qui règne sur le pays depuis 1998.

Vice-présidente du CNRP pour l’Europe, Kanika Lim explique que son parti « sensibilise d’une manière générale le gouvernement français » sur la situation politique au Cambodge, largement occultée en France. « On sensibilise toutes ces personnes [comme Valérie Pécresse – ndlr]. C’est pour cela que c’est important d’aller les voir. »

La militante se félicite aussi que « Patrick Karam [ait] fait beaucoup pour le Cambodge ». Par exemple ? « Je ne le dirai pas (rires) », élude-t-elle. (...)

L’Union des Serbes de France présente le meeting comme un partenariat avec la région (...)

Un femme membre de la communauté serbe présente au meeting explique clairement à Mediapart que « non », elle ne soutient pas Valérie Pécresse.

Le président de l’Union, Djuro Cetkovic, qui insiste sur la nécessité de représenter sa communauté auprès de tous les camps politiques, relativise pour sa part la participation de son association (...)

Lorsqu’on contacte les membres des associations, il n’est parfois pas rare que les personnes donnent des versions contradictoires. Il en est ainsi des membres de Civica, qui regroupe les élus portugais et d’origine portugaise en France. L’association s’est vu attribuer 20 000 euros de subvention régionale en 2018 (pour une fête sur l’entrée du fado au patrimoine mondial de l’Unesco), 30 000 euros en 2019, puis 5 000 euros en 2020.

Contactée, une militante de cette association présente à Brive explique que « les personnes qui se sont déplacées sont celles qui adhèrent aux idées de Valérie Pécresse ». Mais, un autre membre de la délégation livre une autre version quelques instants plus tard : « De mon point de vue, ce n’était pas tant que ça politique, […] je pense que c’était vraiment plutôt un échange en fait. »

Même incohérence au Crosif, le Comité régional olympique et sportif d’Île-de-France, avec lequel travaille étroitement Patrick Karam, en tant que vice-président de la région. (...)

Sur place, beaucoup, à commencer par les journalistes dépêchés pour couvrir l’événement, n’ont vu que du feu à l’opération pour inviter des centaines de personnes. Et ce principalement pour une raison logistique : le rassemblement se tenait dans le parc des Perrières – mis à disposition de Valérie Pécresse par le maire de Brive Frédéric Soulier, un de ses soutiens.

L’espace boisé avaient été savamment agencé pour l’occasion, avec un chapiteau central de taille modeste, que l’on remplit facilement, pour les prises de parole devant les caméras. Pendant que le reste des invités pouvaient se restaurer à l’écart tout en étant comptabilisés par l’organisation comme des participants au rassemblement. (...)

Ancienne ministre du budget de Nicolas Sarkozy, Valérie Pécresse avait ravi en 2015 la présidence de la région Île-de-France, la plus grande région d’Europe, en promettant de mettre un terme « aux dérives de 17 ans d’une gestion opaque et clientéliste » de la présidence socialiste.