
Si les démocrates n’y prennent pas gare, populistes et nationalistes pourraient devenir la première force politique du Parlement européen.
Au milieu d’un été caniculaire, les élections européennes de mai 2019 sont loin d’être la préoccupation des futurs électeurs. Elles sont pourtant au cœur des discours et des actions des populistes et des nationalistes qui voient, dans le prochain renouvellement du Parlement de Strasbourg, l’occasion de frapper un grand coup électoral, et peut-être même de prendre en otage l’institution démocratique du continent.
Le premier ministre hongrois Viktor Orban, chef de file de l’"illibéralisme" en Europe centrale, et le ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, devenu la figure de proue d’une extrême droite décomplexée, ont, chacun à sa manière, donné le coup d’envoi d’une campagne des européennes qui s’annonce rude, surfant sur les peurs et les angoisses d’un continent malmené.
Des personnalités clivantes
A ces deux personnalités clivantes inspirées, chacune à sa manière, par la rhétorique et le style de Donald Trump, il faut ajouter un troisième nom qui entend faire de cette campagne un référendum contre l’Europe libérale et ses frontières ouvertes : Steve Bannon, le trublion illuminé de l’extrême droite américaine, ancien directeur de campagne puis éphémère conseiller de Trump à la Maison-Blanche, qui annonce son installation à Bruxelles avec l’intention de torpiller le scrutin européen.
Les élections européennes sont paradoxalement devenues, au fil du temps, un scrutin dont se sont détournés les électeurs : à peine un électeur sur quatre s’est déplacé aux urnes en France en 2014, et ceux qui votent y voient un bon moyen d’exprimer leur mécontentement. L’accroissement des pouvoirs du Parlement européen n’y a rien fait, la campagne reste largement nationale et d’autant plus morne que les partis politiques placent sur leurs listes les personnalités recalées ou indésirables sur le plan national…
Les seuls à prendre ces élections au sérieux sont les partis populistes et d’extrême droite, qui ont depuis longtemps compris les avantages qu’ils peuvent tirer d’une Assemblée élue à la proportionnelle. Le scandale du financement des assistants parlementaires du Front national – arrivé en tête en France aux européennes de 2014 – en est un exemple… (...)
La peur des migrants
Certes, il n’y a pas, a priori, d’unité ou même de cohérence entre ces différentes forces engagées contre Bruxelles. Au Parlement de Strasbourg, Viktor Orban est membre du Parti populaire européen (PPE), la même formation que la démocratie chrétienne d’Angela Merkel, tandis que la Ligue de Matteo Salvini est assise sur le même banc que les "frontistes" de Marine Le Pen. On compte pas moins de trois groupes différents de droite extrême et/ou euro hostiles à Strasbourg.
Et pourtant, quand Viktor Orban donne sa définition de la démocratie chrétienne –"anti-migrant, anti-multiculturelle et qui se bat pour le modèle de la famille chrétienne" (...)
En surfant sur la peur des migrants et en agitant la question de la souveraineté et de l’identité comme étendards, Viktor Orban se fait le chantre du "modèle autrichien", l’alliance entre la droite traditionnelle et l’extrême droite. Il cherche ainsi à déplacer le centre de gravité de l’Europe qui reposait jusqu’ici sur l’équilibre – et l’entente de facto – entre les deux gros blocs politiques du Parlement européen, chrétien-démocrate et social-démocrate. (...)
Ce discours, qui joue sur les peurs, a placé les partisans du modèle libéral sur la défensive, provoquant, en France par exemple, un durcissement des législations et des attitudes vis-à-vis des réfugiés et des migrants. Piège classique : vous ne faites rien et vous êtes accusé de laxisme ; vous agissez et on vous dit qu’il vaut mieux l’original à la copie… L’Europe paye ainsi le prix de son indécision et de ses incohérences depuis la vague migratoire de 2015, alors même que les chiffres réels actuels sont une fraction de ce qui s’est produit il y a trois ans. (...)
L’annonce par Steve Bannon de son installation à Bruxelles dans la perspective des européennes est venue confirmer que l’ultra-droite américaine, celle de Trump, veut, elle aussi, la peau de l’Union européenne, tout comme Vladimir Poutine qui souffle autant qu’il le peut sur les braises du continent (on se souviendra de sa photo en compagnie de Marine Le Pen en pleine campagne électorale, et Matteo Salvini ne jure que par lui…).
Salvini fils spirituel de Bannon
Steve Bannon considère Matteo Salvini et le gouvernement italien comme son "bébé" : il l’a dit quasiment dans ces termes sur CNN, en direct de Rome où il avait accouru dès la formation de la coalition nationalistes-populistes. Et il entend bien répliquer le modèle ailleurs en Europe.
Ce mauvais génie de l’ultra-droite américaine a à sa disposition les moyens de désinformation et d’intox qui se sont rodés depuis les exemples réussis du Brexit et de la campagne de Trump, mais aussi depuis son échec à soutenir Marine Le Pen en balançant quelques intox mal fagotées sur Macron. (...)
Il a aussi de l’argent de quelques grandes fortunes américaines au service de sa "cause", une sorte d’antithèse de George Soros, la bête noire " des nationalistes, à la fois juif, financier, philanthrope…
Steve Bannon et son "Mouvement" en cours d’installation à Bruxelles espèrent fédérer les extrêmes malgré leurs différences, forts d’un important réseau de contacts qui va du Rassemblement (ex-Front) national en France, et en particulier de Marion Maréchal (Le Pen) qu’il décrit dans le magazine "Society" comme "la Jeanne d’Arc de notre mouvement", à Viktor Orban en Hongrie en passant par la Ligue italienne, ou les partis d’extrême droite de Suède ou d’Allemagne.
A 64 ans, l’Américain rêve de créer une internationale populiste, se vit en Malraux romantique de la guerre de civilisation qu’il mène sur le sol européen.
Orban, Salvini, Bannon… Ces trois personnages sulfureux ont déjà commencé leur campagne des européennes car ils sentent des vents favorables. A quel moment les autres forces politiques, et les citoyens favorables aux valeurs de la démocratie libérale se réveilleront-ils ? Avant qu’il ne soit trop tard ?