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L’envers du décor cool et souriant des startups : une employée raconte
« Bienvenue dans le nouveau monde, comment j’ai survécu à la coolitude des startups, Ed. Premier Parallèle, 16 euros
Article mis en ligne le 21 avril 2017
dernière modification le 18 avril 2017

Des entrepreneurs et « managers » jeunes, dynamiques et branchés, une économie « collaborative » à la pointe de « l’innovation », des open space « cool » et bienveillants, un business qui va changer la France, voir le monde… Les images véhiculées par le milieu des startups se veulent en rupture avec le monde de l’entreprise classique et sa hiérarchie pesante. Travailler au sein d’une startup serait bien plus sympa qu’intégrer une boîte traditionnelle. Pour certains candidats à l’élection présidentielle, tel Emmanuel Macron, c’est le nouveau modèle d’entreprise à soutenir. Mathilde Ramadier en a fait l’expérience et la raconte dans un livre, « Bienvenue dans le nouveau monde, comment j’ai survécu à la coolitude des startups » (éd. Premier Parallèle). Edifiant.

(...)

Le CEO de l’une des startups où j’ai travaillé avait auparavant monté une boîte qui a frôlé le milliard de dollars en capitalisation et était considéré comme l’une des stars du milieu. Pendant que mes collègues et moi travaillions pour moins de mille euros bruts, il n’hésitait pas à mettre en scène sa vie et sa réussite sociale sur les réseaux sociaux de l’entreprise et de sa marque. Tout le monde sait combien coûte son loft – il est situé dans une de ces belles rues de Kreuzberg (un quartier berlinois, ndlr) complètement gentrifiée et aux façades refaites, où l’on n’entend plus parler qu’en anglais –, tout le monde voit son train de vie : il est souvent en vacances à Bali ou Los Angeles et inonde les réseaux sociaux de selfies. Mais personne ne se rebelle et les sceptiques sont minoritaires. Car un grand nombre de ces petites mains rêvent un jour de monter leur startup et d’attirer elles-aussi ces « business angels » qui y investissent des sommes faramineuses.

Un jour, un des managers a voulu fonder un comité d’entreprise. Le patron états-unien l’a pris comme une déclaration de guerre et a réagi frontalement : « Que ceux qui veulent monter ce comité d’entreprise partent avec trois mois de salaire. Si vous restez, c’est à vos risques et périls », a-t-il lancé. Le collègue a donc été « cornerisé » (synonyme anglo-saxon de placardisé), puis a finalement démissionné en compagnie de trois personnes dont moi. En apprenant cela, le CEO s’est contenté de ricaner.

Loin de l’environnement de travail ludique, sympa, presque familial, que prétendent proposer nombre de start-up, vous décrivez un système infantilisant. Sur quoi repose-t-il ?

Les employés sont, en général, tous issus de la même génération. La moyenne d’âge dans ces startups est d’environ 27 ans. L’univers nostalgique de l’enfant est largement valorisé : une culture commune à coups de jeux vidéo, de Super Mario (personnage phare d’une série de jeux vidéo créés par Nintendo depuis 30 ans, ndlr), de tables de ping-pong ou de flippers à disposition au bureau, agrémentés de limonades bio et de bonbons à volonté. Au premier abord, cela contribue à mettre en place une ambiance agréable et détendue, loin de l’image de « la boîte à papa ». Mais cela contribue à abolir les frontières entre vie privée et travail, en faisant jouer une arme fatale : l’affect.

C’est dangereux. Cela ouvre la porte au chantage affectif et crée un entre-soi : « Il faut incarner les valeurs de l’entreprise ! Tes collègues sont tes amis, alors pourquoi partir tôt le soir puisque tes amis sont encore au bureau ? Reste boire un coup avec eux ! » L’effet pervers, c’est qu’avec autant d’avantages en nature, cela fait passer les gens qui critiquent ou se plaignent pour des aigris, des rabat-joies. (...)