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L’enfouissement des déchets radioactifs n’est pas la seule solution, affirme l’IRSN
Article mis en ligne le 16 mai 2019

Il est possible d’entreposer à sec les combustibles nucléaires usés qui s’accumulent dans les piscines de La Hague, affirme un rapport de l’IRSN. Ouvrant la voie à un changement radical dans la doctrine de gestion des déchets radioactifs. Et rendant inutile le projet d’EDF à Belleville-sur-Loire. Plusieurs pays étudient par ailleurs l’entreposage à sec comme alternative à l’enfouissement.

Le raisonnement semblait implacable :
1- les combustibles nucléaires usés déchargés des centrales nucléaires françaises s’entassent par dizaines de cœurs de réacteurs dans les piscines d’entreposage de l’usine de retraitement Orano de La Hague (Manche),
2 - ces piscines seront très bientôt pleines,
3 - donc EDF doit construire une nouvelle piscine d’entreposage à Belleville-sur-Loire, comme l’a révélé Reporterre en février 2018.

Sauf qu’un rapport de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), dévoilé mercredi 15 mai, affirme pour la première fois la faisabilité immédiate d’une autre solution : l’entreposage à sec [1]. Une solution déjà mise en œuvre dans de nombreux pays nucléarisés et promue par de nombreux experts et associations, car réputé plus sûre que la conservation en bassin.

D’après ce rapport, commandé par la Commission nationale du débat public dans le cadre du débat public en cours sur la gestion des matières et déchets radioactifs, au moins la moitié des combustibles MOX (mélange d’uranium appauvri et de plutonium) usés actuellement conservés sous l’eau à La Hague pourraient être immédiatement mis dans des conteneurs, soit 2.500 assemblages de combustibles – ceux-là même qu’EDF envisage de transférer dans sa piscine géante en projet dans le Cher [2]. Idem pour l’intégralité des 1.150 assemblages de combustible d’uranium de retraitement enrichi (URE) usés qui se trouvent également à La Hague. (...)

Pourquoi cette option n’a-t-elle pas été envisagée plus tôt ? La faute à la très forte chaleur dégagée par les combustibles MOX usés, due à la présence du plutonium. « La possibilité d’entreposer à sec dépend de la puissance thermique des combustibles, explique M. Niel. Après leur déchargement du réacteur, tous les combustibles nucléaires usés doivent obligatoirement séjourner en piscine, jusqu’à ce que leur puissance thermique descende en-dessous de 2 kilowatts. C’est la condition pour que la gaine qui entoure les combustibles résiste. Ainsi, les combustibles URE et à base d’uranium naturel, qui refroidissent vite, peuvent être entreposés à sec peu de temps après leur déchargement. Mais les MOX usés, eux, doivent refroidir plusieurs décennies sous eau. »

Sauf qu’après examen, il s’est avéré que les assemblages de MOX les plus anciens et les moins concentrés en plutonium – ceux à 5,30 % de plutonium utilisés entre 1987 et 2000 puis ceux à 7,08 % utilisés entre 2000 et 2007 – étaient quasiment tous passés sous la barre des 2 kilowatts et pouvaient donc prétendre à une sortie de l’eau. (...)

l’IRSN avait déjà souligné certains avantages de l’entreposage à sec : « Il peut être passif, c’est-à-dire qu’il n’y a pas forcément besoin d’y prévoir un système de ventilation. Il suffit que de l’air circule autour des conteneurs. En outre, si un accident survenait, ses conséquences seraient moindres. Enfin, sa construction est plus rapide, environ cinq ans », avait énuméré M. Niel à l’époque. À l’inverse, la piscine, bien que très adaptée aux combustibles les plus chauds et permettant une meilleure surveillance des assemblages, présente des risques importants. En cas de perte d’eau, d’immenses quantités de combustible concentrées au même endroit (plus de 9.900 tonnes de combustible sont entreposées les bassins de l’usine de retraitement de La Hague) ne seraient plus refroidies, une réaction nucléaire pourrait se déclencher avec « des conséquences très importantes pour l’environnement [et] une impossibilité d’accéder au proche voisinage de la piscine du fait du débit de dose induit par les combustibles, en l’absence d’atténuation des rayonnements par l’eau ». Ce qui s’est produit lors de l’accident nucléaire de Fukushima.

Ces deux rapports satisfont Yves Marignac, expert en nucléaire et fondateur de l’agence d’informations et d’études sur l’énergie Wise-Paris. « Ils confirment que l’entreposage à sec est un mode d’entreposage a priori plus robuste à long terme et aujourd’hui techniquement envisageable pour l’ensemble du combustible. C’est une confirmation des arguments des experts et des acteurs qui appellent à une sortie de la stratégie actuelle d’entreposage sous eau, et une contribution importante pour le débat sur l’évolution des stratégies de gestion du combustible et des modes d’entreposage. » En octobre 2017, Greenpeace avait plaidé pour cette solution, après avoir transmis aux autorités un rapport accablant sur les failles de sûreté et de sécurité des piscines.

Pourquoi alors s’acharner à conserver les combustibles nucléaires usés sous l’eau ? Ce choix est directement dicté par la politique de retraitement mise en œuvre par la filière française – ce processus industriel qui consiste à récupérer le combustible uranium usé pour en extraire le plutonium destiné à fabriquer du MOX. L’intérêt de l’entreposage en piscine est alors de garder tous les assemblages usés facilement accessibles pour ces opérations, sans avoir à multiplier les opérations de conditionnement et de déballage. Sauf que le MOX usé, lui, n’est actuellement pas recyclé, ni réutilisé. (...)

CERTAINS PAYS RÉFLÉCHISSENT À UN ENTREPOSAGE EN SURFACE OU EN FAIBLE PROFONDEUR

L’IRSN a remis mercredi 15 mai un autre rapport à la Commission nationale du débat public, dans laquelle il dessine le panorama international de toutes les solutions alternatives à l’enfouissement en couche géologique profonde des déchets les plus radioactifs — le projet Cigéo à Bure. (...)

Six « familles » de solutions ont ainsi été envisagées pour se débarrasser de ces déchets utra-dangereux pendant des centaines de milliers d’années : le stockage dans les fonds marins, l’envoi dans l’espace, l’immobilisation dans la glace, l’entreposage, la séparation-transmutation et les stockages en forage. Les trois premières ont été abandonnées, notamment pour des raisons éthiques, « mais des recherches se poursuivent sur les trois dernières options », précise Jean-Christophe Niel, le directeur général de l’IRSN.

Ainsi, « certains pays réfléchissent à un entreposage en surface ou en faible profondeur pendant plusieurs siècles et travaillent sur la robustesse des installations et les manières de minimiser la maintenance ». (...)