
L’historien des sciences Bruno Strasser a retracé avec son collègue Thomas Schlich l’avènement des masques chirurgicaux jetables dans les années 1960. Un tournant qui lui semble préjudiciable.
Dans un article coécrit avec le médecin et historien de la chirurgie Thomas Schlich, et paru dans la revue médicale The Lancet le 22 mai, le biologiste et historien des sciences Bruno Strasser retrace l’histoire, l’évolution et l’adaptation des masques médicaux à la culture du « tout-jetable ». Pour le chercheur et son homologue, ils sont devenus, au fil du temps, à la fois le symbole de la fragilité de la médecine moderne et de la santé publique. (...)
La pandémie de Covid-19 vous a inspiré un travail de recherche sur les masques. Pourquoi ?
C’est surtout la question de la pénurie de masques qui nous a intrigués, car on sait depuis très longtemps que le masque est indispensable dans la lutte contre les maladies infectieuses, qu’il ne coûte pas cher et est facile à produire. Il est donc étonnant qu’on se soit retrouvé pris au dépourvu quand la pandémie est arrivée, avec des situations dramatiques pour le personnel soignant dans de nombreux hôpitaux. (...)
Au-delà de la façon dont nous nous sommes préparés et des raisons pour lesquelles on ne disposait pas de stocks plus importants, nous nous sommes demandé pourquoi le masque était devenu un objet de consommation jetable alors qu’il ne l’a pas toujours été.
Jusque dans les années 1970, c’est-à-dire très récemment, les masques médicaux étaient presque tous réutilisables. Ils faisaient l’objet de recherches poussées, ils étaient évalués scientifiquement, et leur développement a conduit à des modèles dont les performances étaient considérées comme très satisfaisantes, souvent même supérieures à celle des masques jetables. C’est ce paradoxe qui a motivé nos recherches. (...)
Le masque est apparu sous sa forme moderne dans le contexte de la chirurgie à la fin XIXe siècle, en Pologne actuelle, quand le chirurgien Johann Mikulicz-Radecki a appris d’un collègue bactériologiste que les gouttelettes de salive regorgent de microbes vivants. Il a alors commencé à porter un masque lorsqu’il opérait et a constaté que cela diminuait le nombre d’infections post-opératoires chez ses patients.
En soi, le masque n’était pas nouveau. Avant les découvertes de Louis Pasteur, au milieu du XIXe siècle, on croyait que la contagion était causée par des « miasmes » présentes dans l’air vicié. (...)