
L’écriture inclusive est à la mode. J’essaie de m’y mettre, avec bien du mal. Il faut dire que je traîne un lourd handicap, séduite que j’étais par les raisonnements de l’Académie française. Elle prétend que genre grammatical et genre naturel sont disjoints, et qu’il existe en français un genre marqué et un genre non marqué ayant valeur extensive1. J’en étais encore là lorsque j’ai publié mon affreux poisson d’avril 2017 imprégné de malveillance et nourri par ces arguments ringards. Maintenant que j’ai pris de bonnes résolutions pour la rentrée, je fais des exercices de rééducation. Mais il y a encore des choses que je n’arrive pas à faire ou que je ne comprends pas.
Voici par exemple deux difficultés.
1° Je ne sais pas expliquer à un petit garçon qui vient d’entrer en CE1 comment on doit prononcer une séquence écrite ainsi :
« les instituteur·rice·s conseillent à leurs nouveau·elle·x·s élèves d’être travailleur·euse·s »
J’espère que c’est correct : je tente d’appliquer les recommandations du manuel qui fournit la formule de composition des mots avec le « point milieu » et où on trouve également des listes de transcriptions2. C’est ainsi que, tentée d’abord d’écrire « nouveaux·elles », j’ai renoncé et observé plus scrupuleusement la règle indiquée page 7 du Manuel, ce qui donne dans mon application de malcomprenante : « nouveau·elle·x·s ». Inutile de préciser que, d’ordinaire excellente dactylo en écriture « normale » (oops, pardon, en écriture macho), j’ai mis pas mal de temps à taper la séquence. J’excepte bien sûr le temps passé à trouver le code pour obtenir le « point milieu » : on nous rassure, les claviers vont bientôt remédier à ce défaut. N’empêche que même avec cette touche supplémentaire, il va falloir acquérir d’autres automatismes de frappe. (...)
Fort heureusement, je trouve en ligne un charitable article4 qui suggère des solutions pour me sortir de la « crétinerie » :
« Qui s’habitue pendant quelques [sic]5 temps à la lecture de tweets et d’articles en écriture inclusive en arrive tout naturellement à deux types de comportement.
Premièrement, le cerveau transforme cette notation en un terme neutre : si nous lisons « les chanteur·euse·s », nous comprenons immédiatement qu’il s’agit des hommes et des femmes qui chantent. Et hop, passage au mot suivant, comme dans la méthode globale.
Deuxièmement, s’il nous faut désormais lire un texte inclusif à voix haute, on prendra la peine de développer en disant « les chanteurs et les chanteuses », ce qui est moins lourd à l’écrit. »
Sortir de la crétinerie, c’est une gymnastique : « hop » passer au mot suivant « comme dans la méthode globale », autrement dit zapper. Au diable la mécanique, vive la « compréhension » immédiate ! Ou alors à haute voix, c’est « développer » une séquence qui n’est pas écrite et qu’on va chercher où ?…. mais dans sa « culture », dans ses « prérequis » ! Que voilà une bonne idée pour une école « inclusive » qui ne recourt à aucun présupposé, et qui pourfend les « implicites » générateurs de discrimination !
2° Je n’ai toujours pas résolu une question que posait mon insolent poisson d’avril. Comment fait-on dans l’autre sens ? Je veux dire : comment fait-on avec les mots de genre marqué (dit improprement féminin) qui peuvent désigner des personnes de sexe masculin ? J’ai beau scruter les listes du Manuel je ne les y trouve pas6.
Je complique ma vie de malcomprenante en imaginant ce petit exercice pervers : transposer en écriture inclusive et gender-correcte le texte suivant.
« Les nouvelles recrues (de nombreuses personnes ont été admises), se sont bien vite adaptées. Celles qui ont été postées comme sentinelles n’ont rencontré aucune difficulté, même si les estafettes ont eu un peu de mal à remplir leur fonction. Mais une vigie prénommée Victor a été la dupe d’une mauvaise plaisanterie faite par une fripouille. L’enquête a réussi à identifier cette dernière – un garçon peu recommandable – et la victime a été réconfortée : Victor est à présent la vedette du régiment, décidément c’est une star. »
Faut-il opter pour la manière forte en inventant une forme « masculine » à affubler aux substantifs recrue, personne7, sentinelle, vigie, estafette, dupe, fripouille, victime, vedette, star ? Ou bien faut-il les laisser tels quels en admettant qu’ils deviennent épicènes et ne faire varier que l’article ? En tout état de cause, on peut craindre que leur enlever la marque dite (improprement) du féminin, et dire « le victime », « le personne », etc., serait une « invisibilisation ».