
La question de l’avortement au Sénégal me taraude depuis le jour où j’ai vu une jeune femme mettre un fœtus, enveloppé dans une serviette, dans un sac poubelle. Un cas d’avortement clandestin auquel j’ai assisté sans pouvoir réagir. En plein désarroi, je crois avoir voulu respecter le choix de cette femme, sévèrement puni par la loi au Sénégal.
Je suis une journaliste française indépendante, actuellement basée dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. Ce n’est pas mon histoire que je vais raconter dans ces lignes, ni celle de cette jeune fille qui a aidé son amie à avorter clandestinement – sans la présence d’un médecin – , c’est l’histoire de près de 7 millions de femmes qui sont victimes d’une loi interdisant l’avortement même en cas d’inceste ou de viol.
A la fois interdit par la loi et réprimé par les autorités religieuses (musulmanes comme catholiques), l’avortement est un problème qui ne saurait être ignoré à l’heure où, pratiqué clandestinement dans de mauvaises conditions d’hygiène, il cause, chaque année, 8 à 13% des décès maternels et constitue, avec l’infanticide, 38% des causes de détention des femmes au Sénégal – si l’on en croit le Comité de lutte contre les violences faites aux femmes (chiffres tirés du rapport de l’OMS [PDF]). Sans compter que les cas d’infanticides représentent le quart des affaires jugées aux assises.
Pour l’heure, dix-huit organisations et associations pour la défense des droits humains, réunies sous le nom de « Task Force », ont appelé l’Etat sénégalais, via une pétition publiée dans un quotidien national le 6 novembre dernier, à respecter ses engagements vis-à-vis du protocole de Maputo [PDF] signé et ratifié en 2005.
L’article 14 de ce protocole stipule que les Etats doivent prendre « toutes les mesures appropriées pour […] protéger les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé en cas d’agression sexuelle, de viol ou d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique ou la vie de la mère et du fœtus ».
Un article que le Sénégal ne respecte qu’en partie puisque seul l’avortement thérapeutique est autorisé dans le pays. (...)
Les associations pointent également du doigt une certaine discrimination entre les femmes aisées bénéficiant d’avortements médicalisés pratiqués par des gynécologues – qui risquent leur carrière et la prison – et les femmes faisant appel à des personnes non compétentes par manque de moyens. De surcroît, l’administration pénitentiaire a dénombré quatre cas d’infanticides et d’avortement dans les six premiers mois de l’année 2013.
L’Etat réagira-t-il ? Rien n’est moins sûr. Au cours de ces dernières années, plusieurs députées ont tenté de mettre la dépénalisation de l’avortement sur la table mais se sont heurtées à des désaccords farouches et catégoriques à la fois au sein de l’Assemblée nationale mais aussi au sein de la société civile. Principal argument : la société sénégalaise n’est pas prête… (...)
Se jeter du haut de l’escalier
Les conséquences qu’induit cette interdiction sont terribles. Après m’être entretenue avec plusieurs femmes d’une vingtaine d’années, j’ai été frappée par une triste réalité : au lieu de parler contraception, on parle d’abord avortement. A croire que l’avortement est une méthode contraceptive (...)
En deux ans, 420 cas d’abus sexuels sur mineures (7 à 14 ans) ont été dénombré par le Cegid (Centre de guidance infantile familiale) au Sénégal. Presque 30% de ces mineures sont tombées enceintes et 10 à 15% d’entre elles ont dû subir une césarienne à cause de leur jeune âge.
« Nous avons eu le cas d’une enfant de 9 ans qui est morte après avoir donné naissance », déplore le sociologue Serigne Mbor Mbaye, président du Cegid. « Ces enfants nés de mineures violées vont être exclus et stigmatisés dans une société où l’on attache énormément d’importance à la filiation », ajoute-t-il.
Il y a une dizaine d’années, le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) avait lancé un vaste programme de sensibilisation sur la sexualité auprès des jeunes en créant des centres qui manquent aujourd’hui de ressources humaines et financières. Par conséquent, les jeunes sont de moins en moins éduqués sexuellement. (...)