
Les élèves qui apprennent à compter assimilent en même temps une vision biaisée des rapports entre hommes et femmes. Exemple en Afrique francophone.
En dépit de la neutralité apparente de la matière, les manuels de mathématiques éclairent, autant que ceux d’histoire ou de science économique, les rapports sociaux. Afin de rendre plus concrets et attractifs les apprentissages, les cours et les exercices mettent en scène des individus, acteurs d’histoires embryonnaires — des enfants comparent leur nombre de billes, un adulte fait des achats ou s’interroge sur sa consommation d’essence — qui donnent une certaine représentation du rôle de chaque sexe.
Dans les six volumes de la collection Mon livre de mathématiques, éditée par Hatier International, diffusée en Afrique francophone et destinée aux élèves de primaire (1), on recense ainsi 1 375 personnages dont le genre peut être identifié (1 014 dans les textes et 361 dans les images). Leur répartition est fort peu paritaire. Tandis que le jeune garçon apparaît comme la figure de prédilection (39 % des personnages dans les textes et 58 % dans les illustrations), les femmes sont complètement marginalisées : elles arrivent après les fillettes et les hommes avec 10 % des personnages des textes, 5 % de ceux des images et une présence qui diminue au fil de la progression scolaire.
Représentés à l’école, garçons et filles peuvent paraître fort semblables ; c’est à la maison qu’éclatent les différences. Tous les enfants prennent en charge les tâches domestiques, mais la couture n’incombe qu’aux filles, le bricolage, qu’aux garçons. Les premières sont pourvues d’attributs qui suggèrent un rôle d’apparat (bijoux, rubans), quand les seconds sont associés à des attributs ludiques (jeux, jouets…) ou à l’argent. D’ailleurs, l’achat est une activité plus fréquente chez les garçons, qui les place en rapport avec le monde extérieur.
La figure des femmes s’avère monolithique : près de 60 % d’entre elles sont identifiées par leur fonction familiale (mère de..., épouse de...), 23 % par leur patronyme et 10,8 % par un statut professionnel (pour l’essentiel, des marchandes de produits alimentaires, mais aussi deux institutrices et une secrétaire). La plupart des autres femmes présentes dans la sphère publique sont des clientes, préposées aux achats de la maisonnée en matière d’alimentation (pour la moitié d’entre d’elles) ou d’habillement (pour un tiers). La fonction nourricière apparaît ainsi comme une caractéristique féminine : 44 % des femmes sont présentées en lien avec la nourriture. En revanche, aucune ne pratique un loisir. Elles sont des personnages numériquement marginaux, aux possibles restreints.
A l’inverse, les manuels proposent une large palette de modèles masculins (...)
Enfin, les mathématiques facilitent un type particulier de mise en relation : la comparaison. On en dénombre 87 au total, opposant le plus fréquemment (34) garçons et filles. Leur nature évolue selon le sexe des protagonistes. On compare les garçons en fonction — dans l’ordre — de leur possession de tel ou tel objet, de leurs caractéristiques physiques, de leurs résultats scolaires, de l’argent dont ils disposent ou de leurs performances sportives. Les comparaisons entre filles, bien plus rares, sont basées sur les caractéristiques physiques (un tiers des cas), avant celles concernant la possession d’objets divers ou d’argent. Elles ne reposent jamais sur des résultats scolaires ou sportifs. Les confrontations fille(s)-garçon(s), quant à elles, portent sur les résultats scolaires et les caractéristiques physiques. Toute comparaison implique la possibilité d’un classement et, dans la majorité des cas, les filles sont dévalorisées : seules six comparaisons sur trente-quatre montrent les filles en situation gratifiante ; dix-neuf les montrent en situation dévalorisante.