
Le projet d’accord transatlantique de libre-échange divise les Européens. La Vie a interrogé deux spécialistes aux convictions bien tranchées. D’un côté, Philippe Moreau Defarges, politologue spécialiste des questions européennes et de la mondialisation, qui juge cet accord nécessaire pour l’avenir économique de l’Europe. De l’autre, Benjamin Coriat, professeur d’économie et co-président des Economistes Atterrés, très opposé au projet.
Espoir de croissance ou danger ?
Le principe même d’un accord commercial de libre-échange entre l’Europe et les Etats-Unis est très discuté. Alors que ses défenseurs affirment qu’il s’agira d’un puissant levier de croissance, ses pourfendeurs craignent que le « modèle européen » en sorte affaibli. Si la France a obtenu vendredi 14 juin que l’audiovisuel soit exclu du mandat de négociations confié à la Commission européenne, d’autres points sensibles risquent en effet de se faire jour.
Philippe Moreau Defarges :
« Cette négociation est extrêmement importante pour l’économie européenne. Aujourd’hui, tout ce qui peut redonner un souffle aux échanges est bienvenu. Nos économies vont mal, et la négociation entre les deux parties de l’Atlantique est devenue primordiale pour tenter de relancer la croissance. A force de refuser tous les progrès, nous risquons de tout perdre ! Le protectionnisme est devenu une vraie passoire. Les Européens ne veulent pas des OGM, mais ils sont utilisés partout dans le monde. Quant à l’exception culturelle, c’est une illusion. Tout le monde peut contourner ce type de restriction, notamment par le téléchargement. En France, on ne veut même pas ouvrir de débat sur le gaz de schiste, ce n’est pas très démocratique ! La priorité aujourd’hui, c’est de relancer l’économie, et la France est en train de prendre une mauvaise voie en ne s’inscrivant pas dans une dynamique d’ouverture. Ce ne sont pas les emplois publics qui vont faire baisser le chômage. »
Benjamin Coriat :
« C’est un danger majeur. Je ne suis pas du tout protectionniste ni souverainiste et je considère qu’il y a toutes sortes d’accords qui ont joué un rôle positif par le passé. Mais ce projet est très mal venu et rempli de dangers pour l’Europe. Le niveau des barrières douanières de part et d’autre de l’Atlantique est déjà très bas, entre 2% et 4%. Le niveau des échanges est lui, très élevé : de l’ordre de plusieurs centaines de milliards de dollars par an. Donc, ce que la Commission va négocier, ce ne sont pas des barrières commerciales, mais des normes et des réglementations. De ce point de vue, l’Europe a tout à perdre. En matière sanitaire, sur la filière animale, les OGM, l’écologie avec les gaz de schiste, la finance... Dans tous ces domaines le niveau de la réglementation américaine est beaucoup plus bas que chez nous. Donc, ces négociations qui s’engagent ne peuvent que déboucher sur un accord par le bas. L’Europe va voir se découdre une série de normes qui font sa spécificité, et va être inondée par des produits et des entreprises qui sont déjà installés sur des normes abaissées. » (...)