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L’absence de consensus sur la véracité des faits met en danger la santé publique
Article mis en ligne le 28 janvier 2022

Une société sans consensus sur ce qui est vrai est-elle possible ? Cette question se pose depuis le début de la pandémie de SARS-CoV-2 qui s’est caractérisée par une véritable "infodémie", une épidémie de fausses informations, parfois relayées par les décideurs politiques eux-mêmes. En santé publique, cette infodémie a fait presque autant de dégâts que les infections par le virus lui-même, estiment plusieurs chercheurs.

L’exemple le plus extrême en occident est sans doute la gouvernance du 45ème président des Etats-Unis d’Amérique, Donald Trump. Celle-ci s’est caractérisée par le plus haut taux de mensonges jamais proférés par un président en exercice. Le Washington Post a comptabilisé 30 573 mensonges ou approximations de Trump durant son mandat [1]. Il aurait surtout menti lors de ses meetings et sur les réseaux sociaux, créant ainsi un effet de bulle cognitive, de réalité alternative, pour ses partisans. Cet effet a entrainé des postures identitaires extrêmes concernant les mesures sanitaires. Par exemple, le port du masque et l’adhésion aux mesures de distanciation sociale sont devenus des signes d’appartenance au parti démocrate, avec des conséquences dramatiques pour les populations exposées au virus. Un rapport du journal Lancet suggère que 40% des décès liés au Covid-19 aux Etats-Unis sont la conséquence des mensonges de Trump [2].

La responsabilité de Trump dans l’assaut du capitole le 6 janvier 2021 a entrainé son bannissement de Twitter, Facebook et Instagram. En réponse, il a déclaré vouloir créer son propre réseau social, "Truth Social" (vérité sociale). Celui-ci devrait voir le jour le 21 février 2022. Si Truth Social parvient à réunir à nouveau les dizaines de millions d’anciens abonnés de Trump, il représentera une force non négligeable pour peser dans les débats démocratiques.

BAM, pourvoyeur de vérités alternatives

La création de médias politiquement orientés destinés à disséminer une "autre vérité" n’est malheureusement pas l’apanage des Etats-Unis. (...)

La page Facebook de BAM relaye majoritairement des articles ou vidéos mettant en lumière les incohérences de la politique sanitaire et les conséquences néfastes des confinements et des vaccins. Elle invite au soutien de médecins accusés d’être anti-vax ou de prescrire des traitements non recommandés pour le Covid-19. Elle diffuse également des évènements, comme le "Doctothon spécial enfant", une version complotiste et anti-vax du téléthon. Durant ce meeting virtuel, des spécialistes de la santé des enfants, tous opposés aux mesures sanitaires et aux vaccins, discutent des risques de ceux-ci pour les enfants. Ce meeting est parrainé par le professeur Christian Perronne, visé par une plainte de l’ordre des médecins français pour charlatanisme et qui a été démis de ses fonctions de chef de service par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris à la suite de déclarations polémiques sur la Covid-19.
Ces experts universitaires qui font le choix du populisme (...)

Dans son interview à BAM et sa vidéo personnelle, Meyer évoque son expérience de recherche au prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) ainsi que son affiliation à l’ULiège afin d’asseoir sa qualité de scientifique. Il n’hésite cependant pas à présenter un travail (i) non validé par les pairs, (ii) en rupture avec les nombreuses études cliniques de terrain déjà publiées dans des revues internationales, (iii) qui remet en question les conséquences de la politique sanitaire européenne contre la Covid-19 et (iv) qui est susceptible d’affecter la santé publique en augmentant l’hésitation vaccinale. Ce faisant, il emprunte le même chemin populiste que le Pr. Didier Raoult, dont la communication médiatique sur les traitements de la Covid-19 et la vaccination[6] a contribué à une véritable fracture vaccinale en France.
Liberté académique, déontologie scientifique et militantisme politique

La liberté académique garantit l’indépendance des recherches au sein des universités. Son but est d’empêcher le dévoiement ou la censure des recherches par une autorité politique ou religieuse. Mais aujourd’hui, certains l’invoquent également pour légitimer une recherche politiquement militante et, comme l’a fait Didier Raoult[7], un rejet des normes méthodologiques de la science. Ces dérives sont très inquiétantes car elles peuvent décrédibiliser l’ensemble des savoirs scientifiques.

La production de savoirs scientifiques est un processus collectif et lent. Les résultats d’une recherche doivent être validés par les pairs afin de réduire les erreurs et les biais. Cette validation implique notamment une évaluation rigoureuse des méthodes utilisées, de la reproductibilité des résultats ainsi que de la cohérence des conclusions tirées des résultats du travail de recherche. Les avis d’autorités et de popularité n’ont aucune valeur scientifique et factuelle. (...)

La crise du Covid-19 a généralisé une communication scientifique d’urgence par les médias, qui a fait la part belle aux travaux scientifiques en prépublication, non encore validés. Cette pratique, inévitable en période de crise, exige une mise en contexte prudente des résultats. L’absence de validation et les limites du travail doivent être clairement expliquées au public. Si le chercheur s’exprime directement, il doit spécifier si c’est à titre personnel ou institutionnel. Il doit également distinguer clairement ce qui appartient au domaine de son expertise scientifique et ce qui est fondé sur des convictions personnelles[8].

Patrick Meyer n’a pas respecté ces principes déontologiques (...)

En agissant de la sorte, il prétend s’exposer au débat scientifique afin de "faire avancer les choses". Il cherche plus vraisemblablement, comme le suggère sa conclusion lors de son interview : "Je suis pas certain que, avec 100% de vaccinés, on est encore en démocratie", à influencer les débats en cours sur la vaccination obligatoire.
Le naufrage d’une société sans consensus sur la véracité des faits

Le philosophe Américain Richard Rorty, l’un des philosophes contemporains les plus influents, défendait l’idéal d’une société sans vérité. Pour Rorty, une société se doit de réduire cruauté et conflits. Ces violences seraient en partie la conséquence des certitudes scientistes et de la rationalisation qui, en légitimant des normes, génèreraient des discriminations sociales [9]. Rorty appelle donc à rejeter l’universalisme, le rationalisme et la science et présente toutes vérités comme "contingentes" à un environnement socioculturel donné. Il conclut qu’une société libérale idéale serait une société considérant vraie toute opinion qui s’impose dans une communauté, sans se soucier de son rapport avec la science. (...)

Contrairement aux conjectures de Rorty, la banalisation des vérités alternatives n’a en rien contribué à apaiser les débats politiques, à réduire la violence aux Etats-Unis et le pays n’a jamais semblé aussi proche d’une guerre civile[ (...)

La violence des manifestations organisées contre les politiques sanitaires dans plusieurs pays européens démontre que cette polarisation n’est pas limitée aux Etats-Unis. Si le contexte est différent, les causes sont similaires. La désinformation, la coexistence de discours opposés sur ce qui est vrai mènent à un communautarisme exacerbé.

Le philosophe britannique Bernard Williams faisait le constat[12] que, si le concept de véracité varie d’une société à l’autre et au cours de l’histoire, aucune société ne peut faire l’économie des pratiques de vérités. Ainsi, l’exigence d’un consensus sur ce qui est vrai pourrait bien être un besoin premier, universel à toute société, car l’absence de ce consensus serait une source de division fatale à toute organisation sociale.

Il est bien démontré que l’efficacité des mesures de santé publique dépend en grande partie de leur acceptation par la population. Un consensus sur ce qui est vrai et une confiance dans les décisions légitimées par la science sont indispensables à toute stratégie de santé publique efficace. Ainsi, la fabrique du doute ou de vérités alternatives et la désinformation organisée représentent de graves périls pesant sur la santé publique.

Aujourd’hui, nous devons malheureusement faire le constat qu’il est devenu de plus en plus difficile pour un citoyen sans expertise scientifique d’identifier dans les médias les discours s’appuyant réellement sur des connaissances scientifiques validées. Les universités et la communauté scientifique doivent se mobiliser pour lutter contre cet état de fait. Elles doivent réagir à toute communication d’un chercheur ne respectant pas la déontologie scientifique et pouvant représenter un danger en santé publique.