
La Commission européenne reconnaît la dépendance de la communauté aux logiciels Microsoft (Office, Windows, Outlook). Elle envisage des alternatives libres, moins coûteuses, mais reste pour l’instant liée à la firme de Redmond, comme le révèle l’enquête des journalistes d’Investigate Europe.
La Commission européenne le sait : ses services informatiques, comme ceux des administrations nationales de la communauté, du Portugal à la Finlande, sont entièrement dépendants aux licences Microsoft (Office, Office 365 pour le cloud, Windows, Outlook…). Elle l’admet publiquement et promet des changements… mais maintient pour l’instant le statu quo.
Dans une longue enquête — à paraître au total dans 12 pays différents mais déjà disponible en Italie sur le site du Fatto Quotidiano— les journalistes du site Investigate Europe sont revenus sur les causes et les risques de cette situation d’autant plus paradoxale que la Commission européenne se montre en parallèle intransigeante avec l’entreprise américaine en matière de concurrence déloyale.
Ainsi, en 2013, elle a condamné Microsoft à une amende de 561 millions d’euros pour ne pas avoir proposé d’alternative par défaut au navigateur Internet Explorer sur Windows, malgré la promesse formulée par l’entreprise en 2009 pour échapper à une condamnation pour abus de position dominante. Au total, la firme de Redmond a déjà dépensé plus d’1,6 milliard d’euros à la communauté (sans inclure les frais d’avocat).
Quels sont les dangers d’un tel monopole ? L’enquête en dénombre plusieurs : des dépenses continues qui ne permettent pas pour autant d’améliorations technologiques, une remise en question du principe de concurrence, le gain d’une influence politique majeure pour Microsoft et des risques de sécurité accrus pour les données sensibles des citoyens traitées par ces services. (...)
LOBBYING CONTRE LE LIBRE
Microsoft poursuit donc largement sa prédominance, même si des alternatives voient le jour dans certains pays. Ainsi, en Italie, le ministère de la défense a accepté en 2014 un projet de réduction des dépenses des licences Microsoft de 28 millions en 4 ans au sein d’un établissement romain grâce à l’utilisation de logiciels libres. Cette initiative est née d’un constat établi par le général Camillo Sileo : « On a réalisé que les fonctionnaires étaient seulement 15 % à utiliser entièrement la suite Office complète, à savoir Word, Excel et Power Point. » L’établissement a donc progressivement commencé à les remplacer par LibreOffice.
Mais ce genre de décision fait grincer des dents chez Microsoft. Les quelques fonctionnaires de la province de Bolzano en ont fait l’expérience : alors qu’ils utilisaient uniquement LibreOffice depuis 4 ans (pour des économies de plus de 3 millions d’euros sur cette durée), une nouvelle résolution adoptée en 2014 a entraîné la signature d’un accord de 5,2 millions sur 3 ans avec Microsoft pour travailler sur ses services de cloud.
Un choix préféré à LibreOffice par la société indépendante Bolzano Alpin — qui assure pourtant la promotion de produits Microsoft sur son site –, comme le veut la loi, mais qui oblige la région à payer 150 000 euros par mois à Microsoft pour un service qu’elle n’est pas encore techniquement capable d’utiliser. (...)
D’autres redoutent de se mettre le géant à dos. En 2015, au Royaume-Uni, Steve Hilton, un ancien conseiller de David Cameron, a dénoncé le poids exercé par les lobbyistes de Microsoft (...)
Le changement global n’est pas près de survenir. Gertrud Ingestad a reconnu que la Commission européenne ne profiterait pas de l’expiration de ses licences Microsoft de 2018 pour entamer cette sortie : « Nous allons continuer avec Microsoft, nous avons cherché des solutions de rechange mais pour l’instant il n’y en a pas et nous ne pouvons pas bloquer tout le système. » (...)