
L’Allemagne est contrainte, en urgence, de miser sur des énergies fossiles dont elle veut pourtant se débarrasser. Quitte à mettre en danger ses objectifs climatiques. L’Allemagne est contrainte, en urgence, de miser sur des énergies fossiles dont elle veut pourtant se débarrasser. Quitte à mettre en danger ses objectifs climatiques.
(...) Le dernier habitant du hameau de Lützerath a bel et bien été exproprié. La localité doit être rasée cet hiver pour agrandir la mine à ciel ouvert de Garzweiler II. « Avec cet accord, le gouvernement autorise RWE à extraire 280 millions de tonnes de charbon supplémentaires d’ici 2030, déplore David Dresen, devenu le porte-parole de l’association Alle Dörfer bleiben (Tous les villages restent). Cela revient à dire adieu à l’engagement de l’Allemagne de contenir le réchauffement planétaire à 1,5 °C. » Garzweiler II est l’une des 425 « bombes climatiques » mondiales, selon les scientifiques.
À l’unisson, l’énergéticien et le gouvernement assurent qu’il n’y a pas d’alternative au sacrifice de Lützerath : en pleine crise énergétique, il faut « garantir l’approvisionnement en électricité ». Le charbon situé sous le hameau doit permettre d’alimenter la centrale de Neurath, non loin de là. Colosse de béton, Neurath est la plus grande centrale thermique d’Allemagne. La plus polluante, aussi, avec plus de 22 millions de tonnes de CO2 émises l’an passé. (...)
Pour tenir ses objectifs climatiques, Berlin s’est engagée à fermer Neurath ; sur ses sept unités de production, deux ont cessé de produire. Trois autres étaient censées les rejoindre cette année. Mais il n’en sera rien. L’accord du mois d’octobre permet à RWE d’exploiter les unités C, D et E de Neurath jusqu’en mars 2024. (...)
Auprès de David Dresen et des autres militants proclimat, la décision passe d’autant plus mal qu’elle a été prise par le parti pour lequel beaucoup d’entre eux avaient voté aux dernières élections : les Verts, membres de la coalition tripartite qui dirige l’Allemagne depuis un an, aux côtés des sociaux-démocrates du SPD et du parti de droite libérale FDP. Du côté du gouvernement, on assume. (...)
Décidément, l’Allemagne a bien du mal à se séparer du charbon. Cette année, seize centrales ont été progressivement remises en route. Il s’agit d’unités de production qui devaient fermer et voient leur exploitation prolongée, mais aussi d’unités de la « réserve de sécurité » qui ont été reconnectées au réseau. D’autres pourraient suivre (...)
Quelle mouche a donc piqué le gouvernement allemand ? « On paie le prix écologique, économique, stratégique d’une transition énergétique qui a été entravée durant plus de dix ans », juge Claudia Kemfert de l’Institut pour la recherche économique (DIW). Freinées sous les gouvernements Merkel, les renouvelables représentent aujourd’hui moins de la moitié du mix électrique allemand — encore trop peu pour répondre à une augmentation massive et soudaine de la demande. En outre, aucun parc photovoltaïque ou éolien ne fait partie de la « réserve de sécurité » dont l’Allemagne dispose en cas de coup dur.
Ce sont donc bel et bien les fossiles qui doivent aider à passer l’hiver (...)
En cause, notamment : les défaillances du parc nucléaire français, qui enregistre une production au plus bas depuis trente ans. Pour compenser, l’Allemagne doit produire plus. Depuis le début de l’année, elle a exporté massivement vers la France (15 térawattheures, TWh), mais aussi vers des clients habituels de l’Hexagone comme la Suisse et le Luxembourg, ou encore l’Italie, via le réseau autrichien. (...)
Alors, face aux incertitudes, l’Allemagne « appuie sur tous les boutons », résume un connaisseur du dossier. En complément du charbon, les écologistes ont aussi, après des débats houleux, accepté de jouer les prolongations avec le nucléaire. (...)
Et puis, cette année a révélé le talon d’Achille de l’Allemagne : son addiction au gaz naturel russe, bon marché et acheminé directement par gazoduc. Dépendante de cette énergie fossile pour son industrie et le chauffage, la première économie d’Europe se voit aujourd’hui contrainte non seulement de faire tourner davantage de centrales à charbon pour économiser la ressource, mais aussi de courir après une alternative encore plus polluante : le gaz naturel liquéfié, issu notamment de la fracturation hydraulique aux États-Unis. (...)
Sur le littoral allemand, les projets de terminaux gaziers poussent comme des champignons : on en compte pas moins de douze. (...)
Dans l’immédiat, les conséquences sont en tout cas déjà très claires : le sixième plus gros émetteur historique de gaz à effet de serre accentue encore sa dette climatique. (...)
Le déploiement des renouvelables doit aller trois fois plus vite qu’auparavant, pour viser un mix électrique renouvelable à 80 % d’ici huit ans. Les infrastructures liées aux renouvelables sont désormais classées d’« intérêt public majeur » au service de « la sécurité », afin de permettre l’accélération des procédures d’autorisation des projets. De nombreuses règles administratives ont été simplifiées.
Le gouvernement met aussi en avant les bonnes nouvelles, comme le succès de son plan de sobriété énergétique : corrigée des variations saisonnières, la consommation d’électricité a baissé de 7,5 % en octobre par rapport à l’an passé, soit autant qu’au début de la pandémie de Covid-19 en 2020. La baisse de la consommation de gaz est encore plus remarquable : -13 % enregistré la première semaine de décembre en dépit d’une vague de froid polaire.
Dans le bassin minier rhénan, les autorités ont avancé la fin de l’exploitation du charbon à 2030, contre 2038 auparavant. Et pour remplacer à terme le gaz naturel, le gouvernement assure que les futurs terminaux méthaniers pourront être utilisés pour approvisionner l’Allemagne en hydrogène vert. (...)