Cathryn Grothe, analyste de recherche à Freedom House, une organisation à but non lucratif soutenue par le gouvernement américain qui travaille sur les droits de l’homme, dit avoir constaté ces dernières années en Iran une évolution de la dépendance à l’égard des informateurs et des patrouilles physiques vers des formes de surveillance numérique automatisée pour cibler les critiques.
Comme Alimardani, elle a reçu des rapports de personnes utilisant des plates-formes en ligne pour s’organiser en Iran et qui pensent avoir été reconnues d’une manière ou d’une autre, puis ciblées par les autorités hors ligne. Selon Mme Grothe, le gouvernement iranien surveille les médias sociaux pour identifier les opposants au régime depuis des années, mais si les affirmations du gouvernement concernant l’utilisation de la reconnaissance faciale sont vraies, c’est le premier cas qu’elle connaisse d’un gouvernement utilisant cette technologie pour faire appliquer la loi sur les vêtements liés au sexe.
La reconnaissance faciale est devenue un outil souhaitable pour les régimes autoritaires du monde entier comme moyen de réprimer la dissidence, explique Mme Grothe, bien que beaucoup d’entre eux ne disposent pas de l’infrastructure technique nécessaire. "L’Iran est un cas où ils ont à la fois la volonté gouvernementale et la capacité physique", dit-elle.
De multiples branches du gouvernement iranien ont accès à la technologie de reconnaissance faciale. Les agents de la circulation iraniens ont commencé à l’utiliser en 2020 pour infliger des amendes et envoyer aux femmes des avertissements par SMS sur le port du hijab à l’intérieur d’un véhicule. Mousa Ghazanfarabadi, le chef de la commission parlementaire juridique et judiciaire du pays, s’est prononcé l’année dernière en faveur de "l’exclusion des services sociaux et des amendes financières’’ pour les violations du hijab. "L’utilisation de caméras d’enregistrement des visages peut permettre de mettre systématiquement en œuvre cette tâche et de réduire la présence de la police, grâce à quoi il n’y aura plus d’affrontements entre la police et les citoyens", a-t-il déclaré au média iranien Enghelabe Eslami.
Une partie de la reconnaissance faciale utilisée en Iran aujourd’hui provient de la société chinoise Tiandy, spécialisée dans les caméras et l’intelligence artificielle. Ses activités en Iran ont fait l’objet d’un rapport publié en décembre 2021 par IPVM, une société qui suit le secteur de la surveillance et de la sécurité.
Tiandy est l’un des plus grands fabricants de caméras de sécurité au monde, mais ses ventes se font essentiellement en Chine, selon l’auteur du rapport, Charles Rollet, et la société semble avoir sauté sur l’occasion de s’implanter en Iran. L’IPVM a constaté que le site Web de Tiandy Iran a, à un moment donné, répertorié le Corps des gardiens de la révolution islamique, la police et une organisation gouvernementale de travail dans les prisons comme clients - des organismes que Rollet décrit comme "le genre d’endroits qui suscitent des signaux d’alarme du point de vue des sanctions ou des droits de l’homme".