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Non-Fiction
L’Inconscient étatique
Dominer, Enquête sur la souveraineté de l’Etat en Occident Christian Laval (auteur), Pierre Dardot (auteur) 2020 La Découverte 736 pages
Article mis en ligne le 22 septembre 2020
dernière modification le 21 septembre 2020

Les États seront-ils les sauveurs de la planète ? Le seront-ils sous le modèle occidental de l’État moderne établissant sa domination sur l’ensemble de la société, dès lors que cette planète, désormais située dans l’ère du Capitalocène Le Capitalocène est un néologisme utilisé pour décrire l’époque géologique récente, caractérisée par l’impact du développement du capitalisme sur la biosphère, et en particulier son rôle dans le changement climatique.close , doit être sans doute prise en charge autrement ? Le principe constitutif de ces États, la souveraineté, avec ses deux corollaires, le droit public interne et le droit international, doivent-ils être préservés à l’encontre de ceux qui prônent l’émergence de sociétés sans État ?

Classiquement, parler d’État et de souveraineté, c’est parler d’un centre politique qui s’est attribué le monopole de la domination, de la production de la loi à laquelle chacun doit obéir sur un territoire. Ou pour le dire autrement, parler de l’État revient à affirmer l’existence dans les sociétés d’un pouvoir dont la supériorité sur les autres n’est pas relative, car il est la source ultime de tous les autres. C’est aussi parler de l’indépendance de chaque État par rapport aux autres États. Dans ce cadre, la souveraineté dessine la source de la loi, devenue, au moment du basculement démocratique, le Peuple ou la Nation. Pour autant, dans les conditions actuelles, celles des réflexions sur le capitalocène, la forme État est-elle la plus adéquate à la nécessité de faire face aux défis, notamment écologiques ?

Ne doit-on pas rappeler qu’il existe, par exemple, un droit qui réglemente le sauvetage en mer et qui est supérieur au droit des États, même si (et surtout si) les États tentent par tous les moyens de le borner, comme on le voit sur la question des secours portés aux migrants. C’est même un droit qui va au-delà de tels événements marins puisqu’il exclut la propriété (nationale) de la mer, du moins de cette exclusion déjà pensée, montrent les auteurs du livre que nous présentons, en 1606, dans un texte de Hugo Grotius. Dès lors, la forme État devrait plutôt être dépassée que renforcée comme le requièrent les souverainistes. Brûler la forêt amazonienne, sur encouragement de l’État (brésilien) soucieux de satisfaire l’agrobusiness, n’est-ce pas détruire, en même temps que le « poumon de la planète », le milieu de vie de populations entières ? Tout compte fait, certains dirigeants d’États et certains États se trouvent criminels face à ces désastres, les écocides et les génocides. (...)

En un mot, dans ce cas, la souveraineté de l’État n’est pas la solution des problèmes, parce que la souveraineté de l’État fait partie du problème. C’est ce que montrent Pierre Dardot et Christian Laval, respectivement philosophe et chercheur à l’université Paris-Nanterre et professeur émérite de sociologie dans la même université. Dans un important volume (730 pages), conséquent, pédagogique et lisible, pour autant qu’on s’intéresse à ces problèmes, ils examinent la genèse de l’État moderne occidental et son histoire théorique et pratique, jusqu’à nos jours. La forme État n’est ni naturelle, ni un destin. Elle relève d’une histoire. (...)

le fil conducteur adopté par les auteurs consiste à montrer que dans l’histoire de l’Occident moderne, c’est la souveraineté pontificale qui servit de modèle direct à la construction de la souveraineté étatique. Un chapitre est entièrement consacré à cela, montrant comment l’Église de Rome s’est instaurée en puissance souveraine (à partir de 1075), seule (insistons : exclusive souveraineté) habilitée à nommer les évêques et à rendre le clergé indépendant des pouvoirs séculiers, en une sorte d’autoattribution de pouvoirs que les juristes ont dû ensuite légitimer. Nous allons y revenir.

Il n’en reste pas moins vrai que poser la question de la naissance de l’État revient à reconnaître un heurt possible entre deux perspectives : celle qui consiste à se demander s’il n’y a pas un continuum admettant toutes sortes de degrés d’un embryon d’État jusqu’à l’État moderne, et celle qui contribue à rechercher une double différence tranchée, entre État et non-État et entre État et État moderne. Tout cela cependant dépend aussi des critères de référence, selon que l’on privilégie la coercition, l’enrôlement ou l’asservissement des humains, ou plus classiquement, la trilogie : territoire, droit, contrainte.

Enfin, pour suivre cette proposition des auteurs, il convient de se défaire du grand récit de l’État et de la civilisation, tel qu’établi depuis longtemps. Se défaire du cours linéaire qui aurait fait passer l’humanité des chasseurs cueilleurs aux nomades, puis de ces derniers aux sédentaires et enfin à la modernité. (...)