
Dans la deuxième moitié des années 80, les objectifs assignés par l’État à la compagnie nationale d’électricité ont insidieusement évolué. La première étape prend la forme d’un rapport émanant de la direction de la prospective d’EDF. Il s’intitule “EDF dans vingt ans”. Ce document distribué en comité restreint aux cadres dans la seconde moitié des années 2000 analyse l’évolution probable de l’entreprise publique et initie les transformations qui vont se produire dans les deux décennies à venir.
La première manifestation concrète de la transformation de l’entreprise, la préparation de l’ouverture du capital et du changement de statut est la signature, en 2000, d’un contrat de groupe entre EDF et l’État. Le gouvernement socialiste de Lionel Jospin inaugure la transformation d’EDF en une machine à cash. Au sein de l’entreprise qui avait jusque là été dirigée par des ingénieurs, souvent issus du corps des Mines, les financiers prennent peu à peu le pouvoir.
La mission d’EDF était depuis 1946 de produire et de distribuer l’électricité au moindre coût pour les Français. En matière nucléaire, il s’agissait de prendre toutes les mesures pour assurer une sécurité absolue de ses installations. (...)
Dans le cas d’EDF, les représentants de l’État disposent d’une écrasante majorité et prennent rapidement l’ascendant. Les besoins financiers de l’Etat deviennent incontrôlables et tous les moyens sont bons pour accaparer les bénéfices dégagés par EDF. Le changement de statut et l’ouverture du capital ne sont effectués que dans ce dessein. Tout l’argent gagné est transféré à l’Etat, notamment sous forme de soultes1. (...)
Cette recherche effrénée d’économies conduit à des aberrations. La direction financière s’aperçoit qu’il existe au sein du parc d’équivalent d’une centrale en pièces détachées et matériel de rechange. L’idée d’immobiliser plusieurs milliards est insupportable et des directives sont données pour réduire le stock et modifier l’organisation (...)
A l’heure actuelle, les agents sont alarmistes : il est devenu impossible de se procurer des pièces adéquates en cas de besoin. (...)
Mais c’est surtout sur l’augmentation de la sous-traitance que les effets sont les plus néfastes. (...)
Bien sûr, il existe encore des garde-fous, comme l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) et le contrat de service public passé entre EDF et l’État, mais on éprouve des difficultés croissantes à faire la différence entre la gestion de cette entreprise très particulière et celle d’une société commerciale privée. Dans cette affaire, l’État français se comporte comme un rentier uniquement préoccupé de ses intérêts à court terme, au détriment de la sécurité de la population et d’une vision ambitieuse de sa politique énergétique. (...)