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L’Amazonie pourrait atteindre un point de non-retour
Article mis en ligne le 27 octobre 2021

Saviez-vous que l’Amazonie pourrait devenir une savane ? Que cette immense forêt tropicale libère désormais plus de carbone qu’elle n’en stocke ? Ravagée par la déforestation, les incendies volontaires et le changement climatique, elle pourrait subir des changements irréversibles.

Or cette année deux publications scientifiques parues dans la revue Nature, issues de deux équipes indépendantes utilisant des méthodes différentes, ont fait l’effet d’une bombe : elles ont révélé que désormais, la forêt amazonienne ne retire plus de carbone de l’atmosphère, mais aggrave les émissions de l’humanité à raison de 0,5 à 1 gigatonne par an, sachant que nos émissions atteignent désormais 36 gigatonnes par an. (...)

Les chercheurs apportent d’autres informations clés. D’abord, l’émission de dioxyde de carbone est surtout localisée au sud et au sud-est du massif, le long de ce qu’on appelle « l’arc de la déforestation », rendu accessible par la création de routes et désormais théâtre d’un important développement agricole. Le nord et l’ouest de l’Amazonie continuent, eux, à stocker du carbone. (...)

Ensuite, il apparaît de plus en plus que les feux jouent un rôle important dans le bilan carbone, en particulier par leur contribution à la dégradation forestière. (...)

L’« hyper-humidité » dont la forêt a besoin pour préserver sa densité et sa richesse (elle reçoit en moyenne 2,2 mètres d’eau par an, et jusqu’à 8 mètres par endroits) est donc en bonne partie sa propre œuvre. Un recyclage naturel et très rapide de l’eau par le vivant qui force l’admiration… mais qui la rend, aussi, vulnérable. Car la forêt et son climat sont en quelque sorte mutuellement dépendants. Et le risque est que l’affaiblissement de la forêt, sous les coups du développement humain, limite sa capacité à ré-évaporer l’eau, jusqu’à l’empêcher de s’autoentretenir comme elle l’a fait jusqu’à présent. (...)

C’est là que pourrait advenir un éventuel point de bascule : à un certain niveau de détérioration risque de s’enclencher un cercle vicieux d’assèchement. Une rétroaction positive, disent les chercheurs. La forêt, de plus en plus sèche, ne produirait plus assez d’humidité pour entretenir ses pluies, et évoluerait vers un autre écosystème, difficile à prévoir mais sans doute apparenté à une savane. (...)

« On distingue déjà clairement les prémices d’une telle évolution, indique Plinio Sist, spécialiste des forêts tropicales au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), et co-auteur du remarquable livre Vivre avec les forêts tropicales (Muséo éditions, 2021). Environ 17 % de l’Amazonie a déjà été coupée, et une partie du reste est fragmentée et dégradée, à cause, notamment, de feux. Or ces forêts dégradées sont plus chaudes — la forêt s’est réchauffée de 1 °C en moyenne, mais du côté de « l’arc de la déforestation » elle a gagné 1,4 °C en moyenne — et plus sèches, et donc plus sensibles au feu. » Le problème est que la forêt doit résister désormais aux assauts conjoints du réchauffement climatique et des humains qui la dégradent, deux perturbations dont la synergie est particulièrement redoutable.

Existe-t-il un point de rupture à partir duquel la forêt amazonienne entamerait une métamorphose irréversible vers un écosystème plus sec ? « Théoriquement, c’est parfaitement possible, indique Philippe Ciais. Une forêt est un système non linéaire, qui peut avoir des points de bascule, c’est-à-dire changer d’état même avec seulement une petite perturbation. » (...)

Si l’assèchement fait basculer la forêt, elle libèrera d’énormes quantités de CO2 (...)

Le chercheur souligne que l’Europe, qui a du pouvoir d’achat et importe 20 % du soja brésilien, pourrait utiliser ce poids pour peser sur les pratiques agricoles, y compris en récompensant les plus vertueuses d’entre elles. Il rappelle également que dans cette fédération qu’est le Brésil, les régions ont un poids politique important qui en font des interlocuteurs possibles, mais que l’État fédéral est actuellement animé par « une idéologie datant des années 1970 ».

La bonne nouvelle ? Le dynamisme du vivant, sous les tropiques, est spectaculaire. (...)

les forêts secondaires tropicales qui repoussent après la déforestation stockent le carbone vingt fois plus vite que la forêt primaire. En laissant simplement repousser ces forêts de peu de valeur au lieu de les recouper tous les 5 à 10 ans comme c’est le cas actuellement, ces chercheurs estiment qu’il serait possible d’accroître de 8 % le stock de carbone de l’Amazonie.