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Journaliste engagé Taha Bouhafs, le fumeur de chicha qui a fait tomber Benalla. Venez défendre la liberté de la presse et demander la liberation de @T_Bouhafs à 18h devant le comissariat d’Alfortville.
Article mis en ligne le 12 juin 2019

Taha Bouhafs se rêvait « youtubeur chicha ». Raté, il est journaliste. Avant ça, il a été candidat aux législatives. Il a aussi filmé Benalla castagnant des manifestants. Pas mal pour un banlieusard qui n’a pas son bac.

« Sans la justice, vous n’aurez pas la paix. » Fort, d’une seule voix, une foule de plusieurs centaines de personnes scande ces quelques mots. Taha Bouhafs, aux premières loges, filme tout avec son portable. En vérifiant ses rushes, le jeune homme répète tout bas, comme s’il se parlait à lui-même : « Sans la justice, vous n’aurez pas la paix ». Cet après-midi, à Champs-sur-Marne en Seine-et-Marne, la famille Camara et leurs soutiens réclament « justice et vérité pour Gaye », mort d’une balle de la police le 16 janvier 2018. Impossible pour le militant antiraciste de louper le rassemblement contre les violences policières. Il porte d’ailleurs les t-shirts imprimés par la famille, sous une parka bleue marine. « Mais tu n’es pas aux gilets jaunes toi ? », lui demande une amie en le saluant. Il répond avec un sourire :

« La banlieue d’abord, Paris après. »

À seulement 21 ans, Taha Bouhafs s’est forgé une solide réputation dans les milieux militants et politiques de gauche. Candidat aux législatives de 2017 pour la France Insoumise – à 19 ans -, activiste assidu durant les blocus étudiants de 2018, il ne manque aucun rendez-vous lié aux luttes des quartiers populaires non plus. Surtout, il a participé à lancer la saga Benalla, qui secoue le gouvernement depuis déjà huit mois. Taha est l’auteur de la vidéo où l’ex-collaborateur de Macron tabasse un couple de manifestants, place de la Contrescarpe. (...)

Taha Bouhafs est de toutes les révoltes avec toujours le même kit sur lui : son portable, un petit trépied flexible qu’il tient en main, et une batterie externe de secours. Il partage ensuite ses vidéos brutes sur son Facebook et son Twitter – 10.400 abonnés -, où elles sont reprises et re-partagées. « C’est un héritage des luttes passées : aujourd’hui, on le sait, il faut tout filmer pour avoir des preuves », contextualise Youcef Brakni, complété par le troisième bon copain de la bande, Madjid Messaoudene, conseiller municipal (FG) de Saint-Denis (...)

En réponse à ceux qui l’accusent d’être antisémite, il publie une vidéo tournée par Première Ligne durant une manif’ de gilets jaunes. On l’y voit vertement remballer des fans de Dieudonné en criant « la seule division est entre les riches et les pauvres ».

Désormais habitué aux attaques sur les réseaux sociaux, il ne veut plus se laisser faire. Il a ainsi récemment décidé, avec son avocat Arié Alimi, d’engager une procédure en justice contre Raphaël Enthoven (...)

C’est sa vidéo d’Alexandre Benalla qui l’a fait remarquer. 1er mai 2018, le militant boit des verres à la fin de la manif de la Fête du travail avec ses camarades, place de la Contrescarpe. Il aperçoit des CRS à l’extérieur et sent que ça chauffe. Il sort et capture l’image qui fera ensuite le tour des médias : Benalla et Crase en train de molester un couple de manifestants. À ce moment, il ne sait pas qu’il s’agit de collaborateurs d’Emmanuel Macron. Il la partage sur ses réseaux comme une « simple » violence policière. C’est deux mois plus tard qu’une amie lui signale que sa vidéo est sur Le Monde. (...)

Mermet, vieux briscard du milieu journalistique, entend parler de ce jeune garçon. Ses vidéos des gilets jaunes, au cœur des rassemblements, lui plaisent. Sa fougue aussi. Il lui propose de couvrir les manifestations pour Là bas si j’y suis. « Il m’a dit “Continue à faire ce que tu fais, comme tu le fais, mais pour nous” », raconte Taha. Contrairement à d’autres rédactions, qui lui ont demandé de mettre un peu d’eau dans son vin (...)

« Certains m’ont proposé le job en me demandant d’être moins militant. Mais il y a toujours un regard sur l’info, je les trouve hypocrites. J’ai refusé. »

Daniel Mermet complète :

« On défend depuis des années un journalisme hétérodoxe et engagé. Je fais une grande différence entre engagé et militant. Le militant va prendre – voire déformer – n’importe quel fait pour défendre sa cause. Pas le journaliste engagé. » (...)

Suivra Nuit debout, toujours à Grenoble. Encore enivré des rassemblements contre le loi El-Khomri, il se dit « pourquoi pas ». Mais très vite, il se rend compte qu’il n’y a que très peu d’arabes et de gens issus des quartiers populaires sur les places. Il décide de créer la commission « Quartiers populaires ». Pour prendre la parole devant tout le monde, il se rappelle devoir attendre que chaque commission ait dit son mot. Taha passe en général dans les derniers :

« Je voyais passer les féministes, les écolos, tout le monde. Certains trucs me rendaient complètement ouf ! On me parlait de planter des carottes, alors qu’il y avait des gens qui mouraient de violences policières chez moi ! Je craquais ! » (...)

Loi travail, Nuit debout, les présidentielles, les législatives, autant de moments qui lui ont donné le goût de la politique et de l’action. Et maintenant ? Ça chauffe dans les facs parisiennes. Des blocus se mettent un peu partout en place pour contester notamment contre Parcoursup. Taha saute dans un train. Encore une première :

« C’est triste, mais les gares, ça me fascinait. Je voyais des gens, ils montaient dans le train et ils partaient. C’est nul à dire, mais moi je ne partais pas… »

La suite pour Taha : Paris, les manifs étudiantes, le comité Adama, et puis courir un peu partout en France pour suivre toutes les luttes qu’il peut. « Je l’ai cramée finalement, la carte TGV max ! » Toujours avec son kit vidéo. Il appelle ça sa « passion », courir partout comme il le fait. Et finalement, grâce au journalisme, il a réussi à en faire son gagne-pain. Il ajoute :

« J’ai de l’énergie à revendre maintenant. J’ai l’impression qu’on ne m’a rien laissé faire les 17 premières années de ma vie. »

Il s’est éloigné de la France Insoumise. « Les gens n’arrêtent pas de me dire que je suis un journaliste au service de la FI. C’est pas le cas. » La suite ? Il ne la connait pas vraiment. « Rien n’était prévu », répète-t-il avec un sourire. Et puis il n’a que 21 ans. Son ami Youcef Brakni conclut en riant :

« À 25 ans ? J’espère qu’il sera Président de la République et qu’il aura rassemblé toute la gauche. »