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Jeune, féminin et diplômé : le profil du mouvement climat
Article mis en ligne le 12 octobre 2021
dernière modification le 11 octobre 2021

Elles se situent plutôt à gauche et plaident pour des changements importants dans nos sociétés, détaillent les auteurs dans cette tribune.

Plus de 120 000 personnes se sont inscrites pour voter à la primaire des écologistes, ce qui est inédit pour une telle élection : elles étaient seulement 17 000 en 2016 et 33 000 en 2011. Depuis 1974 et la première campagne écologiste à l’élection présidentielle, avec l’agronome René Dumont, la prise de conscience a fait son chemin. Selon les mesures régulières de l’Ademe [1], la question de l’environnement s’est installée au sommet des priorités des Français en 2019 (les résultats des élections européennes en ont témoigné), devenant la deuxième question la plus importante dans leur esprit. Confirmée en 2020 avec les municipales, cette dynamique est maintenant mondiale, ainsi qu’en atteste une récente enquête du Programme des Nations unies pour le développement.

L’accélération de cette prise de conscience se manifeste aussi dans la vigueur renouvelée des mobilisations écologistes : depuis le milieu des années 2010, de nouveaux leaders et représentantes, de nouvelles organisations, comme Alternatiba et Extinction Rebellion, ainsi que de nouveaux répertoires d’action (grèves scolaires, marches pour le climat, usage réinventé des pétitions et de l’action en justice) en attestent.

Un profil plus féminin et plus jeune

Entre décembre 2020 et mars 2021, le laboratoire de sciences sociales Pacte (unité de recherche du CNRS, de Sciences Po Grenoble et de l’université Grenoble Alpes) a lancé une grande enquête quantitative en ligne auprès de 10 000 personnes qui interagissent de près ou de loin avec le mouvement climat, pour mieux connaître les contours sociologiques et politiques de cette communauté en formation.

Par leur sociologie, les militants et sympathisants du mouvement climat ne ressemblent pas à la population française dans son ensemble, pour plusieurs raisons.

  • La première d’entre elles, sa forte féminisation. On y compte en effet deux tiers de femmes pour un tiers d’hommes.
  • La seconde, il est porté par une forte proportion de jeunes, voire de très jeunes individus : parmi les répondants à notre enquête, un quart a entre 15 et 24 ans et plus de la moitié entre 15 et 34 ans. Seulement 18 % ont plus de 50 ans et 4 % ont plus de 65 ans. Des ratios d’autant plus impressionnants que les mouvements sociaux traditionnels ont en général, à l’inverse, une forte dominante masculine et un âge moyen plus élevé. (...)
  • Troisième raison, un fort niveau de diplôme. 80 % des répondants à l’enquête possèdent un diplôme post-bac, dont 49 % un niveau master — si on exclut du calcul les plus jeunes, à l’aube de leurs études, les taux montent à 85 % de diplôme post-bac, dont 54 % possédant au moins un master. Pour autant, en termes de niveau de vie, si l’on croise les informations renseignées à propos de la composition de leur foyer (célibataire, en couple, avec enfant ou non) et de leur revenu (net mensuel par foyer), 45 % des répondants actifs professionnellement peuvent être considérés comme membres de la classe moyenne, 42 % des classes populaires et 13 % des classes aisées.

Les enjeux environnementaux au centre de leurs préoccupations (...)

86 % se déclarent prêts ou tout à fait prêts à réduire leur niveau de vie pour l’environnement, contre 32 % des Français.

Selon les divers indicateurs dont nous disposons, cette population pose donc la défense de l’environnement comme priorité absolue et partage un sentiment d’urgence, exigeant des transformations radicales de la société. Cette radicalité forme une spécificité importante et remarquable de la population du mouvement climat. (...)

Un ancrage toujours nettement à gauche

L’enquête offre également de précieux renseignements sur le rapport au système politique des sympathisants du mouvement. D’abord, ils portent un regard sévère sur le fonctionnement de la démocratie. Seuls 25 % d’entre eux considèrent que la démocratie française fonctionne assez ou très bien, contre 42 % dans la population générale. Ils sont aussi très nombreux à vouloir remettre au centre de la prise de décision les citoyens (32 %, contre 18 % pour l‘ensemble des Français) et les experts (46 %, contre 27 %), au détriment des députés ou du président de la République. Les répondants préfèrent aussi largement investir les mouvements sociaux et le lobbying citoyen, à 62 %, plutôt que la vie politique classique et les élections.

En dépit de cette posture critique, il ne faut pas surestimer le décalage vis-à-vis des marqueurs politiques traditionnels. Ils sont moins nombreux que l’ensemble des Français à rejeter les notions de gauche et de droite (28 %, contre 46 %) et ceux qui se positionnent sur l’axe gauche-droite le font presque exclusivement à gauche (42 %), voire très à gauche (20 %), alors que, dans les enquêtes portant sur la population française, ces parts s’élèvent à 17 % et 3 %. Ils sont moins de 10 % à se positionner au centre, et le nombre de ceux qui se sont autopositionnés à droite ou à l’extrême droite est résiduel. De même, en termes de proximité partisane, si un tiers n’en déclare aucune, 31 % sont résolument attachés à Europe Écologie-Les Verts (EELV), 15 % à La France insoumise, 7 % au PS ou à Génération·s. (...)

Des demandes encore floues de réorganisation profonde de la société

Notre enquête s’est déroulée dans un contexte de conjonction des crises sanitaire, économique, sociale et écologique : deux années après les premières marches pour le climat et les manifestations des Gilets jaunes, un an après le début de la pandémie de Covid-19. Elle permet donc de mieux connaître les aspirations d’une population à la fois jeune et particulière dans ses attitudes politiques, ses valeurs ou ses opinions sur l’environnement. Une part importante d’entre elle est radicale et partage les thèses de l’effondrement. Et ces militants n’hésitent pas, dans l’enquête au moins, à remettre en question le fonctionnement de la démocratie et du système politique, ou d’autres principes réputés intangibles, questionnant certaines libertés qu’il conviendrait de limiter pour faire face à la crise écologique.

Les crises ont déstabilisé le système économique et social, et le rapport que les citoyens entretiennent avec lui. Si tout peut s’arrêter pendant des mois, comme l’a montré le confinement, quel sens ont nos activités ? Comment les hiérarchiser, à l’heure où doivent être listées les activités « essentielles » et où le décalage entre le niveau de rémunération et l’utilité de certains métiers (pour notre santé, le soin d’autrui ou le bon fonctionnement de notre économie) est apparu de manière criante ? Quelle place laisser aux objectifs de croissance économique face aux urgences climatiques et sociales ? (...)

4 personnes interrogées sur 5 considèrent que chacun devrait être payé à la hauteur de son utilité sociale. Plus de 9 personnes sur 10 pensent qu’il faut donner la priorité à l’environnement plutôt qu’à la croissance. Il s’agit là de demandes de transformation profonde de l’organisation de nos sociétés, dont les débouchés politiques sont encore incertains. (...)

Il reste six mois d’ici à 2022. Pour eux, l’horloge tourne.