
À bientôt 80 ans, l’anthropologue ne se sent pas vieux, mais « hors d’âge », tel un bon armagnac. Et si la vieillesse n’était qu’un reflet renvoyé par le regard d’autrui ?
Dans votre dernier ouvrage, vous prenez le contre-pied des idées reçues en déclarant que « la vieillesse n’existe pas ». Pourquoi cette affirmation ?
Je veux dire que, subjectivement, il n’existe pas un moment où l’on se sentirait devenu un « vieillard » avec une identité spécifique. On reste le même. Les handicaps divers, la maladie n’attendent pas toujours le grand âge. Il n’existe pas une identité spécifique du vieillard. La vieillesse, c’est comme l’exotisme : les autres vus de loin par des ignorants. (...)
Vous vous présentez comme quelqu’un « hors d’âge », comme les « vieux armagnacs ». Qu’est-ce que cela signifie ?
Un armagnac hors d’âge est un mélange de divers armagnacs d’âges différents. Or, plus nous prenons de l’âge, plus s’accumulent en nous des temps divers, différents passés, des souvenirs variés : nous pouvons jouer avec nos souvenirs tout en nous sentant dans la réalité du moment présent ; il nous arrive aussi d’évoquer la suite. Lorsque je me regarde dans la glace et me dis que j’ai vieilli, je rassemble et réunifie dans une soudaine prise de conscience mon corps et mes différents moi. Ce retour au stade du miroir, paradoxalement, me débarrasse des apories de la conscience réflexive. Je vieillis, donc je vis. J’ai vieilli, donc je suis. C’est une expérience banale et partagée. (...)
Aujourd’hui, plus que jamais, on parle « des jeunes » d’un côté et, de l’autre, des troisième et quatrième âges… À quand le cinquième ? Le vieillissement est une réalité physique, mais l’âge est une construction sociale. On peut définir la société sans âges comme une utopie au même titre que la société sans classes. Mais c’est une utopie dont on peut se rapprocher.