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« Je sais pourquoi je ne pige pas un mot d’arabe, qui est pourtant ma langue maternelle »
Nadia Daam
Article mis en ligne le 16 septembre 2018
dernière modification le 14 septembre 2018

Et c’est de notre faute à tous et toutes.

Parce que pendant toute mon enfance, on a réagi autour de moi à la langue de mes parents et de leurs aïeux soit avec mépris, soit avec peur, soit avec une fausse bienveillance rigolarde. Vous savez ? Celle qui fait que des gens imitent la pub « Couscous Garbit, c’est bon comme là-bas dis » ou singent l’accent arabe, en vous adressant des petits clins d’œil censés être connivents alors qu’ils vous écrabouillent dans une purée d’exotisme dont vous ne voulez pas.(...)

Mais le symptôme le plus éloquent et spectaculaire du rejet ou de l’amusement idiot que suscite la langue arabe en France apparaît à chaque fois qu’il est question de l’introduire à l’école. Et au gré de polémiques tristement récurrentes. En 2016 déjà, Najat Vallaud-Belkacem avait eu à se dépêtrer de toutes les intox et fantasmes liés à la simple remise à jour des ELCO (Enseignement de langue et de culture d’origine). Elle avait même eu à démentir une fausse circulaire incitant les maires à mettre en place des cours d’arabe.(...)

Détail amusant, si tant est qu’on ait envie de rigoler, la ministre de l’Éducation avait alors eu maille à partir avec Bruno Le Maire, alors candidat à la primaire de la droite et qui avait avalé tout rond l’intox, sauce « NAJAT VALLAUD-BELKACEM VEUT FORCER LES ENFANTS À APPRENDRE L’ARABE ». Lequel Bruno Lemaire fait désormais parti de l’actuel gouvernement qui va lui-même devoir désamorcer tous les fantasmes nés des préconisations de l’Institut Montaigne et des déclarations du ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer.(...)

« Ma mère me parlait en arabe au supermarché ou dans la rue, et je débusquais déjà des regards réprobateurs »(...)

Parler arabe, en public ou même dans son foyer, était considéré comme un refus d’intégration, une manifestation du communautarisme, et les petits bilingues que nous étions ne suscitaient jamais la même admiration qu’un franco-anglais ou un bilingue chinois-français. Les attentats de ces dernières années et l’amalgame arabe = arabisation = charia a fait le reste.(...)

Jamais personne ne m’a dit que l’arabe était une belle langue. Jamais personne n’a pris le temps de me dire que ça n’était pas une langue de minorités qui doit se faire tout petite mais qu’elle était parlée par des millions de personnes dans le monde. À l’inverse, tout, qu’il s’agisse des sketchs à la télé dans lesquels des humoristes imitent l’accent arabe avec force raclements de gorge et sons gutturaux, ou des blagues sur les paraboles de nos balcons qui captaient mal les chaînes arabes, m’a incitée à avoir honte de ma langue maternelle et à tout faire pour l’oublier.(...)

Je ne pense pas faire de mon cas individuel une généralité. J’ai le souvenir très clair de petits copains d’école qui comme moi avaient déclaré une guerre d’usure contre l’arabe à la maison. Avec succès, puisqu’à 16 ans, je ne comprenais plus un mot et étais incapable de produire certains sons et locutions pourtant issues de ma langue maternelle. (...)

« Personne, ni des profs, ni des élèves n’a jamais eu la moindre curiosité sur la langue qui se parlait chez moi »(...)

Quelques années après, j’ai découvert que plusieurs de mes confrères et consœurs journalistes apprenaient l’arabe lors de cours particuliers. Il s’est alors passé quelque chose d’absolument absurde : j’étais jalouse de ces Français et Françaises qui pouvaient, par pragmatisme et ambition, apprendre l’arabe parce que c’est utile à leur carrière quand moi, j’ai passé un temps insensé à l’escamoter de mon cerveau et de ma bouche. (...)