
Il voulait nous rencontrer. Il avait envie de parler en allemand, ça ne lui arrive plus si souvent au quotidien. Nous rencontrons Astrid, grand type aux cheveux gominés, dans les bureaux du Centre of minorities à Belgrade. A première vue, ce n’est pas évident de deviner ses origines : Rom, albanais, maghrébin, turc… ? Il s’assoit sur le sofa, un timide sourire aux lèvres. Nous nous présentons rapidement et expliquons ce que nous faisons en Serbie. Il écoute patiemment nos paroles jusqu’à ce que ce soit son tour de parler. Alors, il commence à nous raconter une histoire complètement folle, sa propre histoire. Les mots s’échappent de sa bouche en torrents et pendant plus d’une heure, Astrid nous fait le récit de son errance dans l’Europe du XXIème siècle.
Astrid est un Rom Ashkali né au Kosovo. En 1992, alors âgé de 13 ans, il suit ses parents et son frère en Allemagne, la famille entière fuit la guerre. Mineur, jeune réfugié, il est allé à l’école, a appris l’allemand, plusieurs métiers, s’est fait des amis. Il s’est marié et a eu 5 enfants.
Il a travaillé à droite, à gauche, comme peintre ou bien sur des chantiers. Jusque là, une histoire comme bien d’autres. Le titre de séjour précaire (Duldung) à renouveler tous les 6 mois auprès des autorités des étrangers. En 2007, il reçoit une lettre lui annonçant qu’il est tenu de quitter le territoire sachant qu’il a une peine de 80 jours de prison avec sursis. Il nous explique (et cela est directement confirmé par un collègue allemand) qu’on arrive à ce genre de situation quand on traîne à payer des assurances, quand on a des amendes pour avoir enfreint toute une série de lois limitant les droits des étrangers etc.
Les autorités menaçant d’expulser toute la famille, sa femme et lui divorcent pour ne pas que les enfants soient exposés à ce risque.
Il est mis en rétention quelques mois puis en 2008, il monte dans un avion pour Pristina, la capitale du Kosovo. « Je n’ai même pas eu le temps de dire au revoir aux enfants, c’est allé si vite ». Aller simple dans un pays où il n’a pas mis les pieds depuis 16 ans. (...)
En arrivant, il ne reconnaît plus rien. Tout a changé, a été détruit. Il décide de retourner là où la maison familiale se trouvait mais elle aussi n’est plus là. (...)
Après avoir acheté la maison en Serbie, il a directement invité ses enfants à venir. Il ne les avait pas vus depuis si longtemps. Leur séjour ne s’est pas très bien passé. Dans le village, les autres gamins ne voulaient pas jouer avec eux, en leur disant qu’ils étaient des Albanais, des Kosovars. Les enfants d’Astrid ne comprenaient pas ce qu’ils voulaient et répétaient « Mais non, nous sommes allemands… ! » Ils sont rentrés plus tôt que prévu.
Astrid se fait régulièrement insulter dans le village. (...)
Astrid attend la réponse de la Cour suprême et espère qu’avec le temps, les insultes se feront moins nombreuses. Pourtant, la pensée qu’il ne peut s’installer nulle part sans rencontrer d’immenses barrières le fatigue. « On ne veut pas de moi au Kosovo, on ne veut pas de moi en Allemagne, on ne veut pas de moi en Serbie… mais dites-moi, où je dois aller alors ? »(...) Wikio