Jawed Taiman était encore un enfant lorsque sa famille a fui l’Afghanistan. Son travail de réalisateur l’a fait retourner dans le pays, avant d’en être à nouveau chassé. Le cinéaste s’est confié à InfoMigrants sur les liens qu’il entretient avec son pays d’origine.
Autant qu’il se souvienne, Jawed Taiman a connu une enfance heureuse à Kaboul, avant que la guerre n’oppose les rebelles moudjahidines au pouvoir communiste afghan au début des années 90. Sa famille avait alors été contrainte, comme beaucoup d’autres, de fuir le pays.
L’exil les a d’abord conduits en Inde, puis au Royaume-Uni. Il faudra des années avant que Jawed, jeune étudiant en cinéma, ne remette les pieds en Afghanistan. En 2019, il finit par s’installer en Allemagne pour rejoindre sa femme, une ancienne enseignante à l’université de Kaboul. (...)
En fait, à partir du moment où j’ai quitté l’Afghanistan, j’ai été un étranger dans tous les pays où je suis allé, que ce soit en Inde ou au Royaume-Uni. Mais je dirais qu’en grandissant à Londres, on ne se sent pas vraiment étranger, car c’est une ville multiculturelle et multiethnique. C’était comme une seconde maison et cela l’est toujours.
Pourquoi avez-vous décidé de retourner en Afghanistan ?
Après avoir obtenu mon diplôme de cinéma, j’avais très envie de faire des films sur mon pays et j’y suis retourné en 2006 pour la toute première fois dans le cadre d’un projet de film. Je suis ensuite retourné dans le pays pendant trois mois et j’ai fait des recherches sur certains sujets pour mon nouveau film. J’ai fini par passer un an en Afghanistan pour réaliser un documentaire sur deux jeunes héroïnomanes, intitulé "Addicted in Afghanistan". Cela m’a donné l’occasion de trouver un emploi, de travailler et d’apporter ma contribution au pays (...)
J’ai revu ma maison, les rues où j’ai grandi, les endroits où nous allions en famille pour pique-niquer. Ces endroits m’ont rappelé beaucoup de bons souvenirs et m’ont permis d’établir un lien avec l’Afghanistan. Beaucoup d’Occidentaux venaient en Afghanistan pour travailler et aider le pays, pour le construire, alors je me suis dit, étant originaire de là, : ’Pourquoi ne pas contribuer si le pays a besoin de moi ?’. (...)
Vous vous êtes installé en Allemagne bien avant la prise de pouvoir des Taliban en août 2021. Quel a été votre sentiment lors de la chute de Kaboul ?
"Brisé" serait le mot parfait pour décrire mon sentiment général. J’ai quitté l’Afghanistan en 2019 et je suis venu en Allemagne pour commencer une vie avec ma femme et ma petite fille. J’ai toujours espéré y retourner si le temps le permettait, mais à cause de la pandémie de coronavirus, je n’ai pas pu me rendre en Afghanistan.
Puis j’ai entendu la nouvelle de l’effondrement de Kaboul, de l’Afghanistan. Personnellement, je parle de la "remise" de l’Afghanistan aux Taliban par les Américains. C’était comme s’ils avaient dit aux Taliban après vingt ans de contrôle du gouvernement : "Voilà, merci beaucoup, vous pouvez le récupérer". (...)
j’ai été en dépression pendant des semaines. C’est comme si j’avais perdu une partie de mon corps. C’est la dure vérité que j’ai finalement dû accepter.
Comment gérez-vous l’inquiétude pour vos amis et proches qui sont encore sur place ?
Tous les jours, je parle aux gens sur le terrain à Kaboul. J’essaie de trouver des moyens de les soutenir émotionnellement. Je tente d’aider de toutes les manières possible, qu’il s’agisse d’évacuation, d’aide financière ou d’assistance psychologique. (...)
J’ai aussi beaucoup d’amis qui ont travaillé avec moi quand j’étais producteur pour la version afghane de Sesame Street. Nous avons réussi à faire sortir quelques personnes du pays. L’un est au Canada, l’autre à Londres. Un marionnettiste est en France, un autre est aux États-Unis. Le réalisateur est en Allemagne, un producteur se trouve au Canada. Ils sont un peu partout.
Mais il y a encore une vingtaine de personnes qui sont coincées en Afghanistan. Il y a des monteurs, des artistes de doublage, d’autres membres de l’équipe qui sont toujours en Afghanistan. Les voix de tous ces personnages sont toujours sur place. Nous n’avons pas encore réussi à obtenir de l’aide pour eux afin de les faire sortir.