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Jablonka, histoire d’hommes ?
Article mis en ligne le 25 octobre 2019
dernière modification le 24 octobre 2019

L’historien, qui a sorti à la rentrée un essai sur les nouvelles masculinités, a trouvé son public en librairie. Un livre qui comble avec justesse les silences et manques de l’après-Weinstein, mais suscite aussi interrogations et critiques chez des intellectuelles féministes.

« Ce n’est plus aux femmes de se remettre en cause […], écrit-il. C’est aux hommes de rattraper leur retard sur la marche du monde. » Le propos fait tilt. Matinale de France Inter, Quotidien de Yann Barthès, la Grande Librairie de François Busnel, trois pages dans Elle qui élit l’ouvrage document du mois de septembre : Jablonka brise le plafond de verre médiatique. Son discours vantant des « nouvelles masculinités qui reconnaissent les droits des femmes, mais aussi ceux de tous les hommes » crée le consensus et l’adhésion. Difficile de s’en prendre à un propos si inattaquable. Lors de son passage à la matinale de France Inter, ce n’est pas lui affirmant « vouloir dérégler le patriarcat » qui fait bondir les féministes sur Twitter mais les questions posées par le duo Salamé-Demorand : « Est-ce que le patriarcat existe encore en Occident, vraiment ? » ou « Mais la galanterie, c’est pas sexiste… » Dans un tweet rageur, la journaliste Mona Chollet, auteure du best-seller féministe Sorcières (La Découverte) s’emporte : « "Quel est le problème avec la galanterie, Ivan Jablonka ?" Salamé et Demorand parlent de féminisme et c’est affligeant. »

Dans l’Obs, la députée Clémentine Autain salue l’ambition de l’auteur d’interroger une « masculinité de non- domination ». Elle en montre aussi les limites. L’essentiel de l’essai est constitué d’une longue synthèse historique déjà lue sur le patriarcat, la domination masculine et l’émancipation féminine. « Rien de bien de nouveau », juge-t-elle. La compil de Jablonka met en avant et à propos les premiers hommes féministes (Condorcet, John Stuart Mill, etc.) mais invisibilise étrangement l’apport théorique de la pensée féministe, pourtant essentiel, juste cité ici ou là (lire tribune ci-contre). Une histoire d’hommes par un homme pour les hommes ?

Par son ouvrage, Jablonka touche un public nouveau, plutôt masculin, pas entièrement convaincu par l’égalité entre les sexes. Louable intention, souligne Clémentine Autain. Mais à ces hommes appelés à révolutionner le masculin, que propose-t-il ? « Jablonka ne formule pas de réponses passionnantes, percutantes, innovantes », estime la députée féministe.

En occupant ce créneau, généralement détenu par les femmes, l’historien savait qu’il prenait un risque : celui d’être accusé de réappropriation. Il n’est pas spécialiste du sujet. Pourquoi prend-il la parole ? Il s’en explique en fin d’ouvrage : « Aujourd’hui, les procès en appropriation culturelle interdisent aux hommes de parler du féminisme, aux Blancs d’évoquer l’esclavage. C’est là une terrifiante régression qui oblige chacun à rester dans sa niche, au motif qu’il serait inapte à comprendre les oppressions qu’il n’a pas subies. »

L’historien profite d’un vide relatif autour du masculin. L’homme posé comme une évidence a peu suscité d’analyses et de réflexions. Ivan Jablonka l’écrit lui-même : « Notre modernité reste boîteuse. »