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on vaut mieux que ça
J’ai travaillé à OnVautMieuxQueca
Viciss Hackso
Article mis en ligne le 15 mars 2017

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je vais me présenter, car il y a peu de chance que vous me connaissiez.

J’ai travaillé approximativement 7 années dans des entreprises au management inhumain ou dans des métiers intrinsèquement difficiles. J’ai été agent d’entretien, j’ai travaillé dans plusieurs usines d’agroalimentaire et j’ai enfin travaillé en restauration rapide où je suis restée plusieurs années durant mes études. Ensuite, je suis enfin tombée sur une entreprise au management humain. J’y ai eu l’impression d’être véritablement sauvée, alors qu’il n’y avait rien de révolutionnaire : la seule différence est qu’on m’y faisait confiance, j’avais le droit d’utiliser mes mains pour prendre les objets comme je le souhaitais, on ne me suspectait pas de « prendre des vacances » quand je m’absentais pour 40 degrés de fièvre, j’avais le droit d’aller aux toilettes quand j’en avais besoin, je ne voyais jamais de collègues en pleurs, je n’entendais plus d’engueulades, les clients ne m’y menaçaient plus de mort. Et, comble du luxe, j’avais le droit de boire de l’eau sans demander une permission…

Le monde du travail déconne, et plus que sévèrement.

J’en ai pris conscience la première fois à l’usine, j’étais alors intérimaire et nous travaillions dans le froid, assis, à faire des gestes répétitifs. Le boulot était parfaitement insensé évidemment, comme c’est souvent le cas à l’usine. Nous avions une seule pause repas sur huit d’heure de travail, aller aux toilettes était mal vu. Un jour, une ancienne ouvrière nous a dit que nous avions le droit à une autre pause, pour nous réchauffer notamment. On nous l’avait sciemment caché…

Mes autres expériences n’ont fait que confirmer que ce statut d’esclave et le summum a été atteint en restauration rapide. Je n’ai pas besoin de vous raconter, la catégorie fast food décrit en détail tout ce que j’y ai vécu, à travers les propos de dizaines d’autres équipiers de tout bord, de toute la France. Et pareil dans tant d’autres domaines, pour tant d’autres statuts ou métiers… Le harcèlement comme mode de management, l’aliénation en un point inimaginable où chacun des mots, des microgestes est dicté par une norme, qui, si elle est bafouée, mérite une engueulade salée, parfois des insultes, souvent du mépris. Bienvenue en enfer. (...)

J’ai tiré de cette expérience une leçon. Il faut médiatiser tant que possible les saloperies qui nous arrivent au travail. En parler de toutes les façons possibles, parce que c’est percer l’abcès, libérer l’infection que ces expériences de vie malheureuses nous ont filés, c’est la première étape – en tout cas cela l’a été pour moi – qui a permis d’entamer une guérison. Ensuite, il faut délivrer toutes les informations qu’on peut avoir à autrui. Parce que l’information c’est le pouvoir, mais ça c’est une autre histoire, peut-être hors sujet de ce témoignage.

Alors à tous les pseudocritiques, qui se sont moqués des témoignages parce que « c’est pas ça qui va faire bouger les choses », parce que c’est « plaintif », parce que c’est une révolution qu’il faut, j’aimerais dire des mots extrêmement grossiers, mais je vais me retenir. (...)
Ma deuxième étape, pour ma part, a été de chercher coûte que coûte des solutions de tout bord, de faire de la recherche. Et pour être tout à fait sincère, cela s’est fait par le plus grand des hasards ou par un subterfuge de mon inconscient peut-être.

J’écrivais un livre sur la manipulation et j’ai voulu encore parler travail, notamment parce que mon expérience personnelle m’avait fait croiser la route de manipulateurs au travail, sur un versant harcèlement. Alors, j’ai lu des dizaines de bouquins de témoignages sur le travail, j’ai cherché des dénominateurs communs d’exploitation, de manipulation, j’ai tenté de tout synthétiser et j’ai essayé de donner des idées contre le harcèlement, contre la souffrance, contre l’exploitation, etc. J’ai appelé ce bouquin l’homme formaté et ce bouquin je l’ai laissé sur le net, gratuit , sous licence libre, pour ceux qui en aurait besoin. C’était le minimum à faire.

Alors c’est en toute logique que j’ai rejoint l’équipe d’OnVautMieuxQueCa alors qu’elle ne portait pas encore ce nom, avant que la première vidéo voie le jour.

Je ne suis pas vidéaste. Avec l’équipe, je me suis occupée du site, des réseaux sociaux, de l’édition des témoignages, des mails, j’ai échangé avec pas mal de témoins, j’ai lu et mis en page un nombre incalculable de vos aventures professionnelles.

Et pour être tout à fait sincère quitte à paraître brutale, c’était une expérience terrible. J’aurais voulu qu’elle n’est jamais eu lieu, j’aurais voulu que l’appel à témoignages soit resté lettre morte, ou qu’on ne reçoive que des témoignages bidons, superficiels, prouvant qu’on avait tord qu’il y avait un problème avec le monde. Mais non, on en a reçu des milliers, criant de vérité, détaillé, parfois il y avait même des copies de mails, des documents officiels que l’on n’a pas mis en ligne pour des raisons d’anonymat.

Je pensais que j’étais rompue mentalement, à supporter faire face à l’horreur : mes recherches pour mon livre m’avaient habitué aux suicides, aux vices du harcèlement, à l’enfer de l’exploitation, à l’injustice et à la dévalorisation, à l’énervement du stupide administratif. Je savais à quoi m’attendre. Et pourtant non. À de nombreuses reprises alors que j’éditais les témoignages, j’ai été obligé de m’arrêter, prendre un peu l’air, réfléchir et méditer pour desserrer ma gorge, désengorger ma machine à empathie qui avait été dévastée par l’histoire que je venais de lire. (...)

Fort heureusement, qu’elle n’a pas été ma joie de voir que sur les réseaux sociaux, sur les commentaires du site, vous vous souteniez les uns les autres. Vous palliez à nos débordements et faisiez exactement ce que je me reprochais de ne pas faire : vous apportiez votre soutien, confirmiez cette réalité vécue, reconnaissez les histoires et leurs acteurs, donniez des conseils, et tant d’autres chaleurs humaines encore. C’était tellement formidable d’observer cette coopération naturelle, cette solidarité tellement plus forte et vivace que les quelques haineux traînant parfois sur nos réseaux.

Tous contre cette adversité. Tous ensemble. Peut-être que c’est en voyant cette forte solidarité que j’ai commencé à changer mon regard sur les témoignages et réussir à dompter ma machine à empathie. À chaque témoignage, je me suis demandé « qu’est ce qu’on pourrait faire. Qu’est-ce qui pourrait changer la donne ? Qu’est-ce qui aurait pu éviter cette situation ? ». J’ai retrouvé mon angle d’attaque propre à mon activité sur le site hacking social, et l’espoir est revenu. (...)

À cause du contexte économique, où le chômage est massif, l’humain est devenu une ressource si abondante que la bonne santé d’une pizza est plus importante que celle du chauffeur qui la livre. Ce n’est pas une métaphore illustrative, je fais là référence au témoignage d’un livreur dont le manager s’est enquis de l’état de la pizza avant l’état de son employé, et il y aurait des milliers d’autres exemples de la sorte, comme ceux on l’on prive d’aller aux toilettes, de boire de l’eau, de soins médicaux âpres un accident du travail. Les droits humains sont ici bafoués sans complexe et je comprends parfaitement que les employés, les ouvriers, les agents, les chômeurs et même les cadres (qui n’échappent pas non plus au harcèlement) ne répliquent pas, semble en apparence se « laisser faire » : la « guerre » syndicale prend du temps, de l’énergie, met parfois en danger l’employé (qui se fait harceler) ; l’appel à l’inspection du travail reste parfois sans voix, car eux aussi sont surmenés, et lorsque la bataille juridique se met en œuvre, cela prend parfois des années. Quant à « ouvrir sa gueule », taper du poing sur la table, hé bien c’est risqué de perdre son emploi, et les gens ont légitimement peur d’avoir faim. Pire encore, les sans-emplois sont stigmatisés, d’horribles préjugés courent sur cette population chaque année plus massive, poussant les gens à repousser pourtant une lettre de démission ou un licenciement qui sauverait pourtant leur vie.

Au risque de surprendre, je tiens à dire que certains témoignages de sans-emploi m’ont gonflé d’espoir. (...)

J’aimerais que tous puissent avoir la chance de s’imprégner de ces histoires et qu’on en finisse définitivement avec ces idées que les chômeurs seraient des feignants ou que sais je encore. C’est un préjugé stupide, injustifié et injustifiable, qui ne sert qu’à rassurer une conception du monde erronée.

Alors voilà, j’ai fait des opérations de synthèse dans ma tête, additionnant mon expérience personnelle, tous les témoignages que j’ai lus et édités, tous les témoignages de mes proches, toutes les recherches sur le travail que j’ai faites pour l’homme formaté et mon petit bouquin sur les biais de pôle emploi et le résultat est fort personnel, et il me semble qu’il faille donner du pouvoir aux gens de faire face aux rouleaux compresseurs que sont les entreprises et les organisations inhumaines.

Ce pouvoir, c’est tout simple, il s’agirait d’un revenu inconditionnel à tous permettant de vivre avec décence, quelle que soit la situation (...)

Un vrai revenu inconditionnel, universel serait une solution. À tous les témoignages que j’ai lus, j’ai imaginé ce qui aurait pu se passer si la personne avait cette sécurité financière. Bon nombre de témoignages auraient pu être résolus par cette question, ou auraient permis de donner du pouvoir à la personne pour sa lutte pour améliorer l’entreprise, contre les harceleurs ou les systèmes écrasants.

Puis la question du revenu universel (ou de base, donnez-lui le nom que vous souhaitez) est entrée dans le débat public, à ma plus grande joie. Seulement en quelques semaines elle a été abattue de toute part par toute sorte d’influenceurs, y voyant là une offensive néolibérale (ce n’est pas complètement faux lorsque ce revenu est bas et supprime les allocations par exemple), ou une déresponsabilisation de l’individu (bonjour le biais d’internalité), une utopie impossible (car trop cher à payer soi-disant, pourtant certains ne se privent pas de s’arroser d’argent), un risque pour la société que tout le monde refuse de faire les sales boulots, etc. Et actuellement, il semblerait que le vrai revenu universel soit remis au placard des idées farfelues-utopiques-dangereuses-manipulatoires, même dans la tête des citoyens qui en auraient pourtant le plus besoin. C’est vraiment dommage, sachant que d’autres pays ont adopté cette première étape sociale d’un changement de paradigme par les citoyens eux-mêmes (eh oui, gagnant en temps de réflexion et d’action, ça permet que chacun puisse se mettre à changer le monde, c’est aussi cette idée qui fait peur aux puissants) et que cela fonctionne plutôt positivement.

Soit. Le changement de paradigme se fera d’une manière ou d’une autre, j’ai confiance et je vais vous dire pourquoi. (...)

Cette solution partant du gouvernement n’est pas la seule possible, c’est aussi en cela que réside ma confiance. J’ai vu beaucoup de hackers sociaux au boulot, insoumis, qui transformait l’atmosphère au travail pour contrer les sales pratiques ou le harcèlement. J’ai eu la chance dans mes recherches de tomber sur des organisations qui fonctionnent avec un nouveau paradigme, moins injuste, plus humain, plus libre (je conseille le doc « le bonheur au travail » d’Arte, ou encore « reinventing organizations » qui se trouve aussi en français, livre et conférence ; j’en parle dans mes écrits, mais plus sommairement). Mais tout cela, il serait peut-être encore hors sujet d’en parler ici.

Mon aventure à Onvautmieuxqueca est maintenant presque terminée. Et je dirais pour conclure ce chiffre : 1330.

C’est le nombre de pages que fait le PDF auquel je participe, où l’on a compilé vos témoignages. Peut-être qu’il en fera plus après quelques corrections, ou moins si vous refusez que votre témoignage y soit (prévenez-nous !). Quoiqu’il en soit, il sera gratuit, en format numérique, à disposition de tous ceux qui veulent trouver des solutions à ces problèmes, qu’ils soient chercheurs ou changeur de monde, hacker social, cracker social, politicien rebelle, activiste, militant, curieux ou tout simplement déterminé à oeuvrer enfin et non plus travailler. Et nous l’enverrons aussi à qui de droit. On en reparlera ensemble bientôt avant d’en décider ses destinations, parce ce PDF c’est avant tout le vôtre.

Merci de m’avoir montrer votre solidarité, merci de m’avoir offert ce paysage humain avec tant de potentiels, si forts à refuser de se résigner et si intelligent de ne pas accepter l’inacceptable.

Merci à vous tous et je vous souhaite surtout une excellente continuation.