
Les végétaux sont plus sensibles que les humains, et dotés de capacité d’apprentissage et de mémorisation, explique Francis Hallé, biologiste et botaniste, qui se réjouit qu’on les comprenne de mieux en mieux.
Il vient de rentrer de la forêt malaisienne, où l’attend une prochaine mission. À 80 ans, Francis Hallé est toujours aussi vert et communicatif, batailleur et franc du verbe, fondamentalement inquiet du sort de la planète mais aux aguets des signes d’optimisme. Grand amoureux des arbres et des plantes (1), il s’est battu pendant toute sa carrière pour l’étude du monde végétal, et en particulier des forêts tropicales, dont il est l’un des spécialistes mondiaux. Il est en particulier co-inventeur du Radeau des cimes, ingénieuse nacelle qui permet d’étudier la très riche canopée des grands arbres avec un minimum d’impact.
Quel est votre sentiment devant l’engouement actuel pour le monde végétal ?
Francis Hallé : Il précède largement le grand succès du livre La Vie secrète des arbres, de Peter Wohlleben, que je trouve très bon. Nous, botanistes, constatons un net regain d’intérêt pour les arbres et les forêts depuis une dizaine d’années. Quelle en est la raison ? Je ne saurais le dire précisément, mais on peut noter l’indiscutable prise de conscience environnementale, qu’entretient notamment la banalisation des voyages : les personnes voient les dégradations du milieu, y deviennent plus attentives, et du coup s’intéressent à ces symboles de la nature que sont les arbres.(...)
Nous autres animaux sommes dotés d’une centaine d’organes, dont certains sont vitaux, organisés au sein d’un être centralisé, ce qui nous rend très vulnérables. Notre organisation biologique n’est compatible avec la survie que grâce à la mobilité dont les animaux sont dotés : face à une agression, ils ont le recours de la fuite. L’arbre, pour sa part, se contente de trois organes : racine, tige et feuille, dans une structure décentralisée. Immobile, il ne peut se permettre d’avoir des organes vitaux. Si un agresseur détruit une partie de l’ensemble, il n’en meurt pas. Les arbres ne sont pas des « individus » comme le sont les animaux, lesquels ne sont pas « divisibles », sous peine d’en mourir.
Autre qualité qui nous est étrangère : la fixité, qui interdit à l’arbre de se mettre en quête de proies. Il faut donc que la nourriture lui parvienne. (...)
Par ailleurs, ces êtres sont comestibles, et donc des proies. Comme ils ne peuvent pas s’enfuir, ils ont développé des trésors d’imagination pour ne pas succomber aux coups des prédateurs. (...)
Ensuite, les arbres ont mis au point des défenses biochimiques exceptionnelles pour se protéger. Ainsi, on parle de plantes médicinales, pas d’animaux médicinaux.
L’extraordinaire inventivité des plantes en la matière nous fascine. (...)
Depuis deux ou trois ans, nous recueillons une avalanche de résultats scientifiques plus surprenants les uns que les autres et qui contribuent à nous donner une image beaucoup plus riche du végétal. (...)
Jusqu’à présent, l’humain s’est montré tout à fait ignorant à l’endroit du végétal, perçu comme passif et purement utilitaire. L’accroissement des connaissances sur sa nature profonde constitue un vrai progrès.
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