
Lors de sa première mission à Gaza, le nouveau Commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), Pierre Krähenbühl, a souligné la nécessité de lever le blocus israélien et de mettre fin à la « punition collective illégale » de la population de cette région de la Palestine.
Peu soucieux de l’éventuelle réunification palestinienne, Israël s’inquiète en revanche de l’essor que prend le mouvement international de boycott et de désinvestissement qui frappe son économie. Pour bien des Palestiniens, ce boycott constitue l’ultime carte, quand toutes les autres options ont échoué. (...)
Début janvier, l’annonce a fait sensation aux Pays-Bas : le fonds d’investissement PGGM, qui pèse 150 milliards d’euros (ce qui fait de lui un fonds intermédiaire dans la hiérarchie des fonds), a annoncé sa décision de ne plus investir dans cinq banques israéliennes impliquées dans la colonisation de la Cisjordanie (Bank Hapoalim, Bank Leumi, First International Bank of Israel, Israel Discount Bank, Mizrahi Tefahot Bank). Comment expliquer une telle décision ? Face aux attaques, manifestations devant ses locaux et accusations d’antisémitisme, PGGM a publié une lettre dans laquelle il explique le motif de sa démarche : « L’implication (de ces banques) dans le financement des implantations israéliennes dans les territoires occupés palestiniens était pour nous un problème, puisque ces implantations sont considérées comme illégales au regard du droit humanitaire international. De plus, poursuit le communiqué, les observateurs internationaux ont indiqué que ces implantations constituaient un obstacle important à une solution de paix (à deux États) pour le conflit israélo-palestinien. »
Dans sa lettre, PGGM fait également mention de la décision prise en 2004 par la Cour internationale de justice. (...)
L’Allemagne elle-même a annoncé sa décision de cesser de financer les entreprises de high-tech qui traiteraient avec des entreprises implantées dans les colonies israéliennes en Cisjordanie (lire l’article du quotidien israélien Haaretz).
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En mars 2014, c’est finalement l’« affaire Sodastream », du nom d’une entreprise israélienne spécialisée dans la fabrication d’appareils de gazéification de boissons, qui a porté la question du boycott sur le devant de la scène mondiale. (...)
« Sodastream a révélé au grand public un mouvement de fond, explique le chercheur Julien Salingue. C’est l’image de la taupe, qui creuse ses galeries : ce n’est qu’au moment où elle sort que l’on se rend compte de ce qui a été creusé. Un mouvement massif s’est aujourd’hui développé à l’échelle internationale, et en Israël, on en a conscience depuis un certain temps maintenant, avec notamment la volonté de mettre en place une législation répressive contre BDS. »
En Israël, la plupart des responsables politiques continuent cependant de nier l’impact d’un phénomène par ailleurs difficilement quantifiable sur le plan économique. (...)
les données économiques ne constituent pas l’unique indicateur qui permette de mesurer l’impact du boycott. « Nétanyahou a fait une déclaration à Davos en janvier cette année pour dire qu’il considérait BDS comme une organisation d’antisémites, rappelle Shir Hever. C’est très intéressant, car ces dernières années, le ministère des affaires étrangères a été très prudent. Cette sortie de Nétanyahou montre bien que le gouvernement est arrivé à court d’argument. Désormais, ils abattent leur dernière carte, celle de l’accusation d’antisémitisme, alors même que BDS inclut de nombreux membres de la communauté juive de par le monde. » (...)
Au sein de la société israélienne, Boycott from within ne regroupe qu’une poignée de militants actifs et demeure largement minoritaire, y compris au sein des organisations de gauche qui soutiennent la solution à deux États. En septembre 2011, Mediapart rencontrait Yael Patir alors qu’elle menait la campagne “ 50 raisons pour lesquelles Israël devrait reconnaître l’État palestinien ” à destination des citoyens israéliens. (...)
En Israël, aucun parti politique ne soutient BDS. Les partis de gauche Meretz et Khadash soutiennent cependant le boycott des produits des colonies. (...)
une loi votée à la Knesset condamne tout Israélien qui soutiendrait le boycott, et autorise toute entreprise qui s’estimera victime de ce boycott à porter plainte et exiger des compensations des entreprises israéliennes ou internationales qui le soutiendraient. Le texte n’a cependant, pour l’heure, jamais été appliqué par un tribunal car il fait toujours l’objet d’un débat au sein de la Haute cour constitutionnelle. (...)
Ce traitement légal réservé aux Israéliens partisans du boycott n’est pas unique au monde. Un autre pays est observé avec inquiétude par les membres de la campagne BDS. Il s’agit de la France. (...)
En France, les procès se sont multipliés depuis 2010 contre les militants de BDS, principalement des actions de ce type dans des supermarchés mettant en vente des produits israéliens (...)
Assimilé à de l’incitation à la haine raciale et à la discrimination, l’appel au boycott est alors considéré en France comme une infraction pénale, avec des amendes pouvant aller jusqu’à 45 000 euros et un an d’emprisonnement, conformément à l’article 24 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. À l’origine de la plupart des poursuites contre les militants BDS, la « circulaire Alliot-Marie » (du nom de la ministre de la justice alors en poste) diffusée le 12 février 2010, et par laquelle le ministère demande aux procureurs de la République d’assurer une répression « ferme et cohérente » des actions de boycott, la chancellerie considérant tout appel au boycott des produits d’un pays comme une « provocation publique à la discrimination envers une nation ».
Depuis l’arrivée de Christiane Taubira au poste de garde des Sceaux en 2012, les condamnations n’ont pas cessé. (...)
« C’est un acharnement systématique pour faire taire les militants de la campagne, parce qu’elle prend de l’ampleur, estime Imen Habib, une des coordinatrices du mouvement BDS France, qui réunit plus de 40 associations et organisations politiques, dont le Parti de gauche, qui l’a rejoint récemment, la confédération paysanne, Artisan du monde ou l’Union juive française pour la paix. (...)
Comment prendre en compte alors dans ce raisonnement les directives de l’Union européenne, qui interdisent de subvention toute entreprise ou organisation israélienne installée dans les territoires occupés ? Ne s’agit-il pas ici d’une mesure de boycott de la part de l’UE ? Peut-on donc l’associer directement à une « incitation à la discrimination » ? (...)
Malgré ces difficultés judiciaires, le mouvement BDS progresse en France, principalement par le biais du boycott culturel. Un appel d’illustrateurs invités à Angoulême contre le partenariat conclu par le festival de bande dessinée avec Sodastream a suscité une large couverture médiatique (lire notamment l’article du Parisien), sans toutefois que le directeur du festival ne cède. Mais d’autres actions de lobbying des partisans du boycott ont été couronnées de succès. (...)
Observateur attentif de la campagne BDS, le professeur à l’université Ben Gourion de Tel-Aviv, Emmanuel Navon, par ailleurs membre du comité central du Likoud, prend l’exemple des procès intentés cette fois par BDS contre des sociétés internationales impliquées dans les colonies israéliennes pour conclure qu’« au contraire, la dynamique BDS s’affaiblit, les militants perdent procès sur procès. Le 22 mars 2013, rappelle-t-il, la cour d’appel de Versailles a notamment rejeté la plainte de l’association France-Palestine contre la société Alsthom, qui a construit le tramway de Jérusalem, en estimant que même si l’on considère que Jérusalem-Est est occupé, la convention de Genève permet tout à fait à l’occupant de construire des infrastructures. Le 23 janvier 2014, c’est la Cour de cassation qui a confirmé la condamnation de France-Palestine qui voulait boycotter le produit Sodastream en France. »
Malgré ces démêlés judiciaires, le phénomène BDS a pris une telle ampleur qu’en Palestine, certains l’envisagent désormais comme une solution politique à part entière, face à la division du leadership palestinien entre Gaza et la Cisjordanie, qui dure depuis 2006. (...)
Si incertain qu’il puisse parfois paraître, le succès croissant de BDS ne doit rien au hasard. « Les Palestiniens ont lancé cet appel au boycott après avoir conduit des études économiques, explique Shir Hever, de Boycott from within. Ils ne peuvent pas détruire l’économie israélienne, ils le savent. Le but de BDS, c’est que les Israéliens prennent conscience que la communauté internationale se rend compte de ce que fait Israël, l’apartheid, l’occupation, la colonisation, et qu’elle ne l’accepte plus. De ce point de vue, le boycott est un véritable succès. Comme en Afrique du Sud, à la fin, ce sont les gouvernements qui prendront le relais, et sanctionneront Israël. » (...)
De plus en plus de Palestiniens en sont convaincus, des syndicats aux représentants des associations membres de BDS : face à la division du leadership palestinien, et l’incapacité du processus de paix à mettre fin à l’occupation israélienne, les seuls progrès obtenus ces derniers années l’ont été grâce à la campagne de boycott. (...)
Reste que le basculement, si la stratégie du boycott s’avère efficace, devra se faire en Israël, et non dans les territoires palestiniens. Quel type d’isolement pourrait, au bout du compte, pousser les Israéliens eux-mêmes à faire pression sur leur gouvernement pour un changement de politique à l’égard des Palestiniens ? (...)
plusieurs dizaines d’artistes ont refusé de se produire en Israël. Pour Omar Barghouti, l’issue est plus proche que jamais : « Israël reconnaît désormais officiellement BDS comme une "menace stratégique". Notre "moment sud-africain" » va finir par survenir. »