
Peut-on risquer de s’exprimer sur Israël en évitant tous les euphémismes qui bâillonnent ? Peut-on traiter des actions de son armée en usant des mêmes mots que ceux que l’on emploie quand on évoque la Bosnie, la Tchétchénie ou le Tibet ? Peut-on affirmer qu’un crime de guerre est, sous toutes les latitudes, un crime de guerre ? Ou faut-il encore « superposer le rescapé de 1945 au Robocop de 2010 » et, ainsi, « faire admettre le camp de réfugiés d’aujourd’hui au nom du camp de concentration d’hier » ?
Ce sont toutes ces questions que pose, avec courage, Régis Debray dans son dernier livre, A un ami israélien (1), une missive adressée à l’historien Elie Barnavi, suivie d’une réponse succincte de ce dernier. Signe des temps, à quelques exceptions près, cet ouvrage n’a pas déclenché les procès habituels en sorcellerie antisémite (2). La guerre de Gaza est passée par là, et le massacre de la « flottille de la paix » fera sauter d’autres verrous.
Au commencent était le Verbe… Régis Debray démonte la novlangue qui emprisonne la vision occidentale du conflit : « clôture de sécurité » pour désigner le mur qui enferme les Palestiniens, « frontières sûres et reconnues », qui ne sont jamais précisées, « guerre asymétrique » pour minimiser l’écrasement d’un ennemi sans défense. Ou encore le fameux « retrait israélien de Gaza » : « C’est un peu comme si notre administration pénitentiaire déclarait avoir “libéré” les détenus de Fresnes en les enfermant à double tour du dehors, coupant les rations de moitié, privant l’infirmerie de médicaments et éteignant l’électricité. » Ne serait-il pas temps de revenir aux faits, qui sont têtus, et dire, « au lieu de “colonisation”, conquête. Au lieu de “croissance naturelle” et de “colonies sauvages”, nettoyage ethnique par grignotage et morcellement » ? (...)