
La justice est remontée tout en haut de la pyramide de la santé publique dans l’enquête sur le scandale du Mediator, ce médicament du laboratoire Servier, prescrit comme coupe-faim, interdit en 2009, et qui aurait fait entre 500 et 2 000 morts.
Mardi, les juges d’instruction ont convoqué l’actuel directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, ex-Afssaps), Dominique Maraninchi, en vue d’une mise en examen de celle-ci, en tant que personne morale, pour « homicide involontaire et blessures involontaires » s’agissant des fautes de négligence commises entre 1995 et 2009.
(...) Irène Frachon : Pendant toute mon enquête, j’avais été stupéfiée par les erreurs de raisonnement monstrueuses des experts de l’Agence, et par la tolérance du monde de la santé face à des pratiques inacceptables. Or, on disposait de suffisamment d’éléments depuis l’affaire de l’Isoméride, autre coupe-faim de Servier interdit en 1997 pour savoir que le Mediator est un « Isoméride-like ».
Est mise en examen la « personne morale » qu’est l’Agence : sans jeu de mot, l’Afssaps ne s’est pas comportée moralement. En effet, quand on voit qu’un laboratoire agit comme un gangster, quand on sait qu’il fait travailler des barbouzes pour le recrutement de son personnel, la morale élémentaire c’est de le considérer comme un interlocuteur plus que suspect.
Or, la façon dont l’Agence s’est soumise aux pressions et menaces procédurières de Servier est scandaleuse. (...)
ça continue. La Société française de cardiologie, la Société française de pharmacologie et de thérapeutique continuent de « dealer » avec Servier, qui est quand même mis en examen pour homicide. Les sociétés savantes et les médecins responsables de la santé publique ne devraient pas accepter leur argent, et couper les liens d’intérêt comme l’a fait le Leem, le syndicat des entreprises du médicament qui a suspendu Servier après le rapport de l’Igas en janvier 2011.
Le respect de la présomption d’innocence n’exonère pas des devoirs dictés par l’éthique médicale qui fonde l’exercice de la médecine sur la défense exclusive des intérêts des malades. Lorsque l’on voit comment Servier torture véritablement, par son déni farouche, les victimes lors des procédures engagées au civil, la prise de distance s’impose encore davantage. (...)
car c’est l’Afssaps de l’époque qui est visée. Dominique Maraninchi, qui est arrivé après, n’appartenait pas à ce système, mais doit assumer les responsabilités antérieures de l’Agence. (...)
C’est l’occasion de faire enfin une autopsie de l’affaire. Le Mediator a révélé un problème systémique dont il faut démêler l’écheveau. Comment se fait-il que l’Afssaps se soit finalement considérée comme garante des intérêts industriels, comme me l’ont dit des experts ? Certains m’ont expliqué que quand ils avaient à étudier un médicament, les responsables de l’Agence tenaient compte des emplois en jeu, pensaient aux impacts sur les firmes... (...)
nombre d’experts confondent conflit d’intérêts et honnêteté intellectuelle. Quand on leur dit qu’ils ne peuvent pas valider un avis car ils sont liés avec l’industrie, ils sont fous de rage, ils entendent qu’on les prend pour des pourris. Or il est évident, et la France a bien du retard par rapport aux Anglo-saxons sur ce point, que des décisions de santé publique doivent se prendre à l’abri de ces influences. Nier l’influence des firmes, c’est préparer le prochain Mediator.
Reste que, si plus d’attention est portée à la transparence, à la prévention des conflits d’intérêts, il va falloir former des experts indépendants en santé publique, comme le réclame par exemple le Formindep (...)