
58 milliards d’euros et 670 000 emplois, c’est le « PIB culturel » de la France. Ce qui n’empêche pas Medef et gouvernement de remettre en cause le statut qui permet aux artistes et techniciens du spectacle les plus précaires de vivre de leur métier et de faire découvrir leurs créations.
Et pas seulement sur de grandes scènes urbaines ou lors de prestigieux festivals, mais sur tout le territoire. Reportage dans la région Centre, auprès de professionnels du monde du spectacle qui se mobilisent aussi quotidiennement pour ne pas être les victimes de cette réforme. (...)
L’exception culturelle française repose sur la précarité
L’intermittence n’est pas un métier, c’est plutôt l’opposé : un statut de chômage. Il concerne les ouvriers, techniciens ou artistes dont le travail est, par nature, discontinu et précaire. Un dispositif « unique au monde » fondé lors du Front populaire qui a permis un « foisonnement créatif inouï », rappelle la ministre de la Culture Aurélie Filippetti, dans une tribune publiée dans Le Monde du 30 juin. Issus du monde du spectacle, du cinéma, de la production ou de l’audiovisuel, tous doivent travailler un minimum de 507 heures, sur une période de dix mois pour les techniciens (annexe 8 de l’Unedic) et de dix mois et demi pour les artistes (annexe 10). Cette durée travaillée ouvre un droit à 243 jours indemnisés, indemnités qui seront perçues les jours « chômés » ou non payés, entre deux contrats.
Chaque fin de mois, l’intermittent déclare donc ses jours travaillés, Pôle Emploi complète pour assurer un salaire complet. En moyenne, un intermittent perçoit 2322 € par mois, un revenu composé pour moitié de son activité et pour moitié de ses indemnités. S’il existe des disparités entre techniciens, mieux rémunérés, et artistes, l’exception culturelle française repose sur la précarité : 87% des contrats sont des CDD, et un tiers des intermittents perçoivent des revenus inférieur au salaire médian français (1 675 euros bruts mensuels) [1]
Travailler 30 heures, payées 10
Pendant la durée d’indemnisation, pas question de se tourner les pouces. De nouveaux cachets et contrats permettront de renouveler le statut en travaillant le nombre d’heures demandé. Pour un salarié à temps plein, 507 heures de travail s’effectuent en un peu plus de trois mois. Et pourtant, pour obtenir leur statut, ces hommes et femmes scrutent tout au long de l’année l’avancée de leurs prestations, réalisent de vrais comptes d’apothicaire, tout en travaillant sans compter leurs heures. C’est la nature contradictoire de leur métier. « Si l’emploi est intermittent, le travail, lui, est permanent ! Avant de jouer, il faut s’être formé, avoir répété, avoir cherché inlassablement le moyen de donner au public le meilleur de soi-même », décrit la ministre de la Culture. (...)
C’est l’un des points conflictuels de l’accord du 22 mars. Un délai de carence doit systématiquement se mettre en place lors du renouvellement du statut : plus d’un mois d’attente pour toucher le premier versement. Devant l’ampleur des contestations, le Premier ministre Manuel Valls s’est engagé, le jeudi 19 juin, à ce que l’État prenne en charge cette période désormais non couverte par l’Unedic. Cela n’a pas suffit à apaiser les esprits. Pour Amélie, un problème persiste : l’impossibilité de compter ses heures réalisées au cours du délai de carence. Celles-ci ne seront pas validées dans le décompte des fameuses 507 heures, ce qui oblige les professionnels à anticiper et à calculer la meilleure date pour renouveler leur intermittence. « Notre statut ne se fait pas forcément sur un an pile. Nous pouvons écouler nos 243 jours d’indemnités en 18 mois, parfois plus. Si une année, je renouvelle mon statut juste avant ou pendant l’été, sur la période des festivals, je risque de perdre 120 heures déclarées d’un coup, et de mettre mon statut en danger. »
« On est loin d’être des privilégiés » (...)