
« Je cherche à donner un sens à l’absurde, à témoigner et informer, à créer un réseau avec celles et ceux dont les vies sont éloignées de ma propre réalité »
Un livre de chroniques écrites entre 2003 et 2017.
Du premier texte, « La lutte d’une Palestinienne contre l’oppression », je souligne quelques éléments qui font plus que sens à mes yeux, car j’écris souvent que je suis né par hasard sur le territoire nommé français. Il n’y a aucune essence à son origine, mais seulement des contingences historiques qui peuvent se transformer ou non en attachement aux lieux et aux entourages de résidence. Des partages aussi avec des proches et des lointain·es, des communautés d’immersion ou de destin, non comme des donnés mais bien toujours comme des constructions sociales et/ou des choix politiques. Et, cela est aussi important, des liens avec les combats situés pour l’autodétermination, la liberté des différentes populations.
« Lorsque je suis née dans une famille jérusalémite palestinienne… ». « Je n’aurais pas choisi d’être sur le lieu d’un crime, mais je m’y suis retrouvée. Je refuse d’être traitée comme une suspecte et, au lieu de cela, je tâche de faire ce que je peux pour être un témoin fidèle »
Samah Jabr parle de son travail de médecin-psychiatre (...)
Je choisis subjectivement de mettre l’accent sur certaines analyses et sur les conséquences, plus rarement abordées, en termes de santé mentale, des guerres, des expulsions, des relégations, des formes d’apartheid, du contrôle militaire, des actes de violence continue, de la privation de droits, de la colonisation.
D’un côté, un « agenda colonial faisant valoir des droits divins sur « une terre sans peuple », une puissance étatique et militaire, et de l’autre, une nation sans Etat, non reconnue et dépossédée. (...)
Impuissance et non volonté des Nations unies (ONU), confusion volontaire entre résistance défensive (y compris armée, qui peut aussi prendre la forme d’« actes offensifs inacceptables » – non distinction entre cibles militaires acceptables et cibles civiles non acceptables. Ce principe de distinction devrait aussi s’appliquer aux forces occupantes) et violence d’Etat délibérée, épuration « ethnique » afin de s’emparer des terres au seul profit de la population considérée comme juive, sécurité israélienne jugée plus importante que le respect des droits, y compris à « des moyens de subsistances basiques ».
Samah Jabr indique que la résistance est un droit et un devoir, l’expression et l’affirmation de la dignité humaine. (...)
L’autrice travaille autour de la notion de stress post-traumatique, de la perte de la capacité à exprimer ou formuler les choses, des effets d’une guerre permanente depuis deux générations, des dommages psychologiques, des punitions collectives, de l’effacement des noms et des lieux, de la Nakba, de la violence quotidienne à laquelle sont confrontés les enfants, « Pour eux, le bruit des bombardements est plus familier que le chant des oiseaux », du façonnage par l’occupation, « en se voyant eux-mêmes avec les yeux de l’occupant », de la psychopathologie de l’emprisonnement et de la torture, de la destruction de la confiance de soi, de l’usage d’une langue pour nier l’autre, « un vocabulaire défensif et apologiste a été créé afin de perpétuer les injustices », (en complément possible, les travaux de Victor Klemperer : LTI. La langue du IIIe Reich, ceux de Shlomo Sand : Les mots et la terre – Les intellectuels en Israël, mythologies-et-imaginaire-national/ ou ceux des féministes sur l’invisibilisation linguistique des femmes), du retournement de la violence contre les proches (...)
Samah Jabr critique les forces dirigeantes palestiniennes, l’« infâme collaboration entre les forces de sécurité palestiniennes et israéliennes », le vaste « système corrompu d’influence et de copinage », les tortures infligés par des Palestiniens à d’autres Palestiniens, l’attribution des deux tiers du budget national aux forces de sécurité dans la minimisation de la part pour la santé, l’éducation ou la protection sociale, « Le peuple de Palestine est projeté par nos dirigeants dans le rôle du suspect, du coupable », la défense du statu quo par les leaders religieux…
Je souligne aussi les pages sur la folie comme moyen de défense de ceux qui assassinent des palestinien·nes, l’encouragement étatique israélien au développement de colonies « juives » dans les territoires occupés, les lois permettant d’exonérer de responsabilité criminelle des actes israéliens, les politiques internationales confortant « la paranoïa d’Israël en validant son « droit à se défendre » ».
Et l’espoir. L’unité et la reconceptualisation du gouvernement palestinien « un rôle de transformation véritable, établi selon un programme national complet pour la libération, sans favoritisme, népotisme ni corruption », la réaction spontanée des enfants à l’occupation, « leurs actions devraient nous appeler à nous réveiller en tant qu’adultes, tel un catalyseur nous permettant d’organiser un projet porteur de sens pour mettre fin à l’occupation ».