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le Monde Diplomatique
« Il nous faut tenir et dominer Athènes »
En 1944, Churchill brisait la Résistance hellénique
Article mis en ligne le 14 juin 2013

La crise économique a ravivé de vieux souvenirs en Grèce. D’abord, celui de l’Allemagne, qui a occupé, massacré et pillé durant les sombres années de la seconde guerre mondiale. Ensuite, celui des ingérences alliées, comme en 1944, lorsque le Royaume-Uni préféra écraser la Résistance locale et collaborer avec les milices d’extrême droite plutôt que de voir le pays échapper à sa domination.

« Vous êtes responsable du maintien de l’ordre à Athènes et devez neutraliser ou détruire toutes les bandes EAM-ELAS [Front national de libération – Armée populaire de libération nationale] qui approcheront de la ville. Prenez toutes les mesures que vous jugerez utiles pour assurer le contrôle des rues et pour cerner tous les groupes de perturbateurs. (...) Le mieux serait naturellement que vos ordres soient contresignés par quelque gouvernement grec. (...) N’hésitez cependant pas à agir comme si vous vous trouviez dans une ville conquise où se serait déclenchée une révolte locale. (...) Il nous faut tenir et dominer Athènes. Ce serait pour vous une grande chose d’y parvenir sans effusion de sang, si c’est possible ; mais avec, si c’est inévitable (1). »

L’homme qui écrit ces lignes n’est autre que le premier ministre britannique Winston Churchill. Nous sommes en décembre 1944 ; les troupes nazies résistent encore aux Alliés, qui piétinent en Italie et reculent dans les Ardennes face à l’ultime contre-offensive de la Wehrmacht. Pourtant, les « bandes » ici visées par Churchill ne sont pas des groupes de collaborateurs, mais les partisans du grand Front national de libération, qui a opposé durant trois ans une résistance massive à l’occupant allemand. (...)

Le 3 décembre a lieu sur la place Syntagma une manifestation monstre pour réclamer la démission de Papandréou et la constitution d’un nouveau gouvernement. Le massacre qui s’ensuit — la police tire sur les citoyens désarmés, faisant une vingtaine de morts et plus d’une centaine de blessés — déclenche l’insurrection du peuple d’Athènes. C’est le prétexte que cherchait Churchill pour pouvoir briser la Résistance. (...)


En brisant la Résistance grecque, les Britanniques ont précipité le pays dans une guerre civile qui, ouverte ou larvée, allait durer trente ans
— avec une courte embellie entre 1963 et 1965. Elle ne prit fin qu’avec la chute de la dictature des colonels, en 1974. Ce « coup d’Athènes » rappelle que la Grèce moderne n’a bénéficié au cours de son histoire que d’une souveraineté très limitée, comme elle en fait aujourd’hui encore la douloureuse expérience.