Peut-on « protéger la nature » aux dépens de celles et ceux qui y vivent, à commencer par les peuples autochtones ? Cette façon de voir la réalité s’est construite sur l’imaginaire occidental de territoires vierges et de peuples à coloniser, comme l’explique Fiore Longo dans cet entretien.
En avril dernier, l’ONU rappelait que « la pandémie de Covid-19 faisait peser une grave menace sur la santé des peuples autochtones du monde entier » car leur système immunitaire ne leur permet pas de se défendre. Mais ne sont-ils pas tout autant vulnérables au changement climatique ?
Il est plus facile d’accuser la pandémie et le changement climatique que les véritables raisons de la vulnérabilité de ces peuples : le vol de leurs terres qui les prive de leurs moyens de subsistance et le racisme. La société industrialisée pense qu’ils ne sont que des primitifs, alors tout est bon pour justifier la violence génocidaire à leur encontre. (...)
C’est en Amazonie qu’on trouve le plus de peuples « non contactés », qui n’ont jamais eu de contact avec notre société. Quelles menaces pèsent sur eux depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro, le président brésilien ?
Nous utilisons un mot assez fort pour décrire la situation : celui de « génocide législatif ». Au Brésil, il existe un département qui s’occupe des peuples autochtones et Bolsonaro vient de couper dans son budget. De plus, il a mis à la tête de l’unité qui s’occupe des peuples non contactés un fondamentaliste évangélique. Or, les missionnaires évangéliques qui veulent convertir les peuples autochtones constituent un grand danger pour ces derniers, car le moindre contact peut les tuer. Tout le monde s’inquiète pour la biodiversité, mais il ne faut pas oublier que la nature n’est pas vide. L’Amazonie a été protégée par ces peuples autochtones, ils font partie de la diversité. (...)
pour les colonisateurs, les peuples autochtones étaient des objets à civiliser et à convertir. C’est un imaginaire raciste qui se perpétue. (...)
aujourd’hui, nous avons des preuves archéologiques que l’Amazonie est habitée depuis des millénaires. Lorsqu’on dit que les humains détruisent la nature, c’est faux. C’est notre système de vie occidental qui est destructeur alors qu’il existe d’autres sociétés qui ne le sont pas. 80 % de la biodiversité se trouvent dans les territoires des peuples autochtones. (...)
selon les estimations, 300 millions de personnes vivent actuellement sur les territoires concernés. (...)
La forêt congolaise est la plus grande forêt tropicale après l’Amazonie. Elle est habitée par les Baka, qui n’ont jamais été consultés avant la création de ce parc. Ce sont des chasseurs-cueilleurs, qui ne font aucun mal à la nature comparé aux compagnies forestières. Pourtant, à chaque fois qu’ils souhaitent aller chasser, ils sont arrêtés, frappés, violés par les gardes forestiers payés par le WWF. Ils sont en train de mourir de faim. Nous avons dénoncé toutes ces violations des droits humains. Depuis, l’Union européenne a décidé de bloquer les fonds pour ce projet. C’est tout simplement un vol de terre au nom de la protection de la nature payée avec les impôts des Européens. Aucune aire protégée dans laquelle nous avons travaillé n’a été créée avec le consentement des peuples autochtones.
Comment cela peut-il arriver ?
Cela fait 30 ans que nous dénonçons cette situation. Malgré cela, les grandes ONG continuent de soutenir les violations des droits de l’Homme et perpétuent cette idée raciste que la nature doit rester sauvage, sans la présence d’humains car il y a l’idée très ancrée que la création des aires protégées est un bienfait pour l’humanité. De plus, les grandes ONG font beaucoup de lobbying (...)
Vous parlez souvent de « colonialisme vert » : pouvez-vous définir ce concept ?
Nous ne sommes plus les seuls à utiliser ce mot. Je pense notamment au livre que vient de publier Guillaume Blanc, L’invention du colonialisme vert (Flammarion, 2020). Il s’agit d’une vision de la nature fabriquée par les sociétés industrialisées et imposée aux peuples autochtones. Des ONG internationales vont en Afrique ou en Asie imposer la création d’aires protégées et expulsent sans consentement au nom de la protection de la nature. L’idéologie derrière ce comportement est la même que celle du racisme : celle que ces peuples ne sont pas capables de gérer leur environnement. Mais il y a autre chose. Car une fois que ce territoire est devenu une aire protégée, il n’est plus accessible qu’à une élite, soit touristique soit scientifique. (...)
si on veut préserver la nature, on ne pourra pas le faire sans les peuples autochtones.