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Le Monde
« Il est plus qu’irresponsable de laisser Rokhaya Diallo être insultée chaque jour »
Article mis en ligne le 4 septembre 2018

Notre chroniqueur juge que le silence face au harcèlement dont est victime la militante témoigne de la libération de la parole raciste en France.

Rokhaya Diallo, militante antiraciste française, dérange. Pas un jour sans qu’elle soit victime de violentes attaques publiques. Y prennent part d’obscurs individus, des membres de l’association identitaire Le Printemps républicain et tout ce qu’Internet peut drainer de racistes. Leur haine de Rokhaya Diallo n’est pas surprenante au regard des causes qu’elle défend. Ce qui est en revanche curieux, c’est de voir des politiques, des intellectuels et d’autres acteurs du débat public français la lyncher médiatiquement dans une totale impunité.

En janvier 2015, l’éditorialiste Ivan Rioufol arracha des larmes à Rokhaya Diallo en l’accusant de sympathie avec les auteurs de l’attentat contre l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo. La femme politique Nadine Morano (Les Républicains) la traita de « Française de papier chanceuse d’être née en France et non au Bénin » (un pays avec lequel elle n’a aucun lien). Récemment, l’essayiste et militante Fatiha Boudjahlat, dans un tweet ensuite supprimé, appela à son viol. Sans oublier une chroniqueuse de Sud Radio qui suggéra de livrer la militante au Ku Klux Klan.
Un tour sur Twitter suffit pour voir la constance avec laquelle le philosophe Raphaël Enthoven, l’essayiste Laurent Bouvet et le préfet Gilles Clavreul (ces deux derniers étant membres du Printemps républicain) attaquent Rokhaya Diallo. De manière quasi quotidienne, avec une obsession qui frise la pathologie, ces hommes blancs, intellectuels médiatiques, la livrent en pâture à leurs « followers ». Ils savent qu’ils peuvent agir de la sorte sans devoir se justifier, surtout dans une période de libération de la parole raciste et d’excitation du phénomène identitaire. (...)

Que font les écrivains, les artistes, les politiques, les militants féministes, les éditorialistes ? Il est plus qu’irresponsable de laisser Rokhaya Diallo se faire insulter, harceler chaque jour ; il est dangereux de laisser cette campagne perdurer. Certains peuvent être tentés un jour d’aller au-delà de la simple agression verbale. (...)

Pis, le gouvernement d’Emmanuel Macron, qui affirmait vouloir faire barrage à l’extrême droite, l’a exclue fin 2017, sous la pression de militants racistes, islamophobes et xénophobes, du Conseil national pour le numérique, censé pourtant être indépendant. (...)

Loin de nous l’idée de brosser un portrait de Rokhaya Diallo en militante gentille et naïve face à des censeurs méchants. Elle provoque et reçoit en retour de virulentes critiques. C’est le jeu du débat, où Internet exacerbe les postures. Certaines de ses positions sont aussi très discutables. (...)

Mais les critiques qu’on peut lui adresser sont infimes par rapport aux torrents d’injures que cette femme reçoit au quotidien. Les attaques récurrentes sur sa personne visent à lui faire peur, à l’obliger à se taire et à quitter le débat public.

Rokhaya Diallo a le courage d’assumer ses positions et, surtout, fait preuve d’une capacité de résistance admirable. Sa voix est utile à l’antiracisme moderne. S’il est compréhensible, voire nécessaire, d’avoir des désaccords avec elle, la haine qu’elle cristallise et qui se manifeste par un harcèlement permanent doit davantage interpeller les décideurs publics, les médias et les intellectuels en France.