
L’an dernier, j’ai pour la première fois visité la Cisjordanie. Jamais auparavant je n’étais allé nulle part dans ce qui était connu autrefois comme le Levant, entre l’Anatolie et l’Egypte, alors que je voyage dans d’autres parties du monde en tant que chercheur en développement économique et politique. Je m’intéresse principalement aux institutions – de toutes sortes et de toutes tailles – et à la façon dont elles travaillent, qu’il s’agisse de la gestion des ressources communes au niveau d’un village, telles que l’élevage ou l’irrigation, ou de l’installation au niveau étatique d’objectifs industriels ou technologiques. Je suis allé en Cisjordanie à l’invitation de l’Institut Kenyon qui organise des visites et des conférences pour des universitaires britanniques. Parallèlement aux conférences, j’ai interviewé des fonctionnaires et des politiques, des responsables d’ONG et des propriétaires de petites usines, et j’ai visité la majeure partie du territoire. J’ai été frappé par l’impasse dans laquelle se trouve le développement de la Cisjordanie et par la rugosité de la vie des palestiniens sous contrôle israélien : je veux dire la vie de tous les jours, au niveau basique, différente des dissensions et négociations de haut niveau avec lesquelles nous sommes tous familiers.
Tout d’abord, quelques chiffres. Dans le territoire combiné d’Israël plus la Palestine, la population de Juifs israéliens dépasse tout juste les six millions, dont environ un demi-million vivent à Jérusalem Est ou dans les colonies de Cisjordanie. La population d’Arabes palestiniens est d’environ six millions, dont quelques 2.700.000 vivent en Cisjordanie, 1.700.000 à Gaza et 1.700.000 en Israël. Ainsi, le rapport entre Arabes palestiniens et Juifs israéliens dans le territoire combiné est de 49,8 pour 50,2. Il faut cependant faire deux réserves. Premièrement, la population d’Arabes palestiniens réfugiés est estimée à 6.800.000, portant le nombre d’Arabes palestiniens à presque 13 millions. Deuxièmement, à l’intérieur des frontières d’Israël plus la Palestine, les Arabes des quatre territoires où ils vivent (Cisjordanie, Gaza, Jérusalem Est et Israël) ont peu d’échanges les uns avec les autres ; en aucun sens ils ne constituent une unité.
La population de Cisjordanie de 2.700.000 personnes représente à peu près un tiers de celle d’Israël (Arabes compris), mais jouit d’un taux de natalité beaucoup plus haut (même si le taux de natalité chez les colons juifs de Cisjordanie et de Jérusalem Est est encore plus haut).
Le revenu moyen des Israéliens juifs (aux taux de change du marché) est d’environ 49.000 dollars ; celui des Israéliens arabes de 13.000 dollars ; celui des Cisjordaniens de 3.700 dollars, et encore moins à Gaza. (...)
Avant d’arriver en Cisjordanie, j’avais lu des textes sur le système de contrôle israélien. « Le miracle est fondé sur le déni », écrit Ari Shavit dans Ma Terre Promise. « Des bulldozers ont rasé des villages palestiniens, des décrets ont confisqué la terre palestinienne, des lois ont révoqué la citoyenneté des Palestiniens et annulé leur terre natale. » Mais, lire sur ce sujet est une chose ; découvrir de visu le système est tout à fait autre chose.
Le souk de la vieille ville d’Hébron était effroyablement vide, presque ni personne ni marchandises. En le traversant, je remarquai les filets tendus au-dessus de la rue et, levant les yeux vers le ciel bleu lumineux, je fus très perplexe à la vue des immondices répandus sur les filets. Mes hôtes m’expliquèrent que les colons israéliens avaient occupé les appartements quittés par les Palestiniens et situés au-dessus du souk, ou avaient construit de nouveaux appartements au-dessus de ceux des Palestiniens ; et, tirant avantage de cette position, ils avaient pris l’habitude de jeter leurs ordures sur la tête des Palestiniens qui passaient en dessous. D’où les filets. On me raconta qu’une ministre de l’Autorité Palestinienne avait récemment reçu le contenu d’un pot de chambre sur la tête.
Mes hôtes m’expliquèrent que le souk ressemblait à une ville fantôme parce que le gouvernement israélien avait fermé la plupart des points de passage pour les Palestiniens, afin d’assurer aux colons israéliens la possibilité d’entrer et de sortir de la ville par des routes réservées, en évitant tout contact avec les Palestiniens. L’entrée principale dans le souk était munie d’une barrière pivotante gardée par un soldat israélien. Alors que nous la passions, deux hommes se tenaient d’un côté avec un tas de cartons de boîtes de conserve sur un chariot ; ils soulevèrent les cartons un par un au-dessus du haut de la porte jusque dans les mains de deux hommes qui, de l’autre côté, les posèrent sur leur chariot, prêts à être transportés ailleurs. Imaginez le coût de cette opération consistant à déplacer d’environ deux mètres ces boîtes de conserve à travers le checkpoint. (...)
une communauté de bergers de cinquante familles gardent plusieurs milliers de moutons et de chèvres sur une terre aride. Des lignes électriques passent au-dessus d’eux, des canalisations d’eau et d’égouts passent en sous-sol, mais les bergers n’y ont pas accès. Ils achètent l’eau à quelque distance de là à un propriétaire israélien d’un dépôt d’eau. Ils peuvent payer un camion-citerne israélien qui apporte l’eau à leur citerne ; mais c’était moins cher pour eux de remorquer leur propre réservoir derrière un tracteur jusqu’au dépôt, de le remplir, et de le ramener chez eux. En 2008, les autorités israéliennes ont confisqué leur réservoir d’eau, disant qu’il n’était pas conforme aux normes. Maintenant, ils paient le supplément pour la livraison par camion-citerne israélien. (...)
Les Palestiniens ne peuvent accéder à internet ou à leurs messages sur leurs téléphones, parce qu’Israël n’a pas accordé les fréquences nécessaires à la 3G (pour « raisons de sécurité »). Israël a pourtant accordé les fréquences 3G aux sociétés israéliennes qui fournissent les colons de Cisjordanie et pour qu’elles procurent un accès télécom continu aux citoyens israéliens qui circulent en Cisjordanie.
L’équipement télécom ne peut être apporté que par les voies israéliennes. (...)
Dans ces conditions - que, je suis heureux de le dire, je n’ai jamais rencontrées ailleurs – le développement politique et économique est pour ainsi dire impossible (...)
entreprises, universités, fonds de pension et ONGs doivent augmenter leur pression sur les gouvernements américain et israélien pour qu’ils changent leur préalable commun, « un Etat palestinien souverain un jour, mais pas maintenant ».