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le Monde Diplomatique
Hôpital public à vendre
Novembre 2010
Article mis en ligne le 2 février 2018

Le cri d’alerte est venu du professeur Bernard Debré, député de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) mais aussi chef de service à l’hôpital Cochin à Paris : « C’est l’hôpital public qu’on assassine », a-t-il lancé le 3 octobre 2010. A la mi-octobre, des mouvements de grève touchaient quarante-quatre hôpitaux.

Dès son adoption, la loi avait soulevé l’opposition des communautés soignantes hospitalières contre un « traitement de choc pour tuer l’hôpital public (2) ».

Créées par la loi, les vingt-six agences régionales de santé (ARS) — dont les directeurs sont nommés en conseil des ministres — se mettent en place avec difficulté. Inévitablement, des conflits de culture et de préséance sont apparus entre les représentants de leurs différentes composantes (Sécurité sociale, direction des hôpitaux et affaires sanitaires et sociales). Au-delà de ces querelles, s’affirment les deux traits fondamentaux de la réforme dite Bachelot : l’étatisme bureaucratique d’une part, l’ouverture vers le marché d’autre part. Même la mise en place de l’éducation thérapeutique du patient, innovation de la loi qui avait réussi à faire consensus, souffre de ce double aspect. Pour obtenir l’autorisation nécessaire de l’ARS, les soignants doivent satisfaire aux exigences bureaucratiques : pour apprendre à un patient à « gérer » son traitement, il faut au préalable lui demander de signer un « consentement éclairé ». Exactement comme s’il participait à une étude de recherche ! Interrogée sur l’absurdité de cette mesure, l’ARS d’Ile-de-France n’a qu’une réponse : « C’est le règlement ! » Pour autant, autorisation ne vaut pas financement. Ce dernier sera limité. Il faudra donc fait appel au privé, en particulier à l’industrie pharmaceutique, à travers des « partenariats public-privé » prétendument « gagnant-gagnant » mais au final toujours perdants pour les deniers publics.

Ce mélange de mercantilisme et de bureaucratisme se retrouve dans la gestion même des hôpitaux. Côté mercantilisme : on cède à des entreprises privées l’entretien des locaux, la blanchisserie, la restauration et la logistique ; on envisage de remplacer les secrétaires par des plates-formes de dactylographie privées délocalisées ; on fait payer aux patients les consultations de diététicien et de psychologue jusqu’alors gratuites ; on va demander, à partir de l’an prochain, 55 euros par nuit pour avoir droit à une chambre seule (sauf en cas d’isolement médical) (3) ; on cherche à privilégier les activités rentables (par exemple la chirurgie de la cataracte, du mélanome ou du canal carpien...) ; on contourne les « rigidités du code du travail » en favorisant l’embauche sous contrat à durée déterminée (CDD)...

Côté bureaucratie, on produit chiffres et tableaux, si bien que partout il existe désormais, pour un même établissement, deux hôpitaux : l’hôpital « numérique » des comptables et l’hôpital réel, en chair et en os, celui des malades et des soignants. Les deux deviennent de plus en plus discordants (...)

Résultat : les services d’urgence sont au bord de la rupture dans plusieurs hôpitaux de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Pourtant, depuis deux ans, les médecins responsables de ces services ne cessent de donner l’alerte. Mais l’énorme machine bureaucratique de l’AP-HP se méfie des professionnels, suspectés a priori de corporatisme conservateur, alors qu’elle est obsédée par l’équilibre financier via les suppressions d’emplois. (...)

Selon le discours officiel, le malaise hospitalier serait purement parisien et toucherait particulièrement « les nantis de l’AP-HP ». Les mêmes politiques produisent pourtant les mêmes effets : après avoir supprimé plus de deux cents agents, le CHU de Nantes a dû fermer onze blocs opératoires pendant trois semaines en juillet 2010. Quant au privilège des Parisiens, il suffit pour en juger de comparer quelques chiffres : en 2009, le budget de l’AP-HP était de 6,5 milliards d’euros pour vingt-trois mille lits, tandis que Lyon recevait 1,4 milliard d’euros pour cinq mille quatre cents lits, Marseille 1,1 milliard d’euros pour deux mille trois cents lits et Toulouse 850 millions pour deux mille huit cents lits.

En réalité, la politique du gouvernement vise à mettre progressivement les hôpitaux en déficit pour les obliger à supprimer des emplois, quitte à diminuer leur activité au profit des cliniques commerciales — lesquelles sont jugées moins coûteuses pour la Sécurité sociale, même si elles le sont beaucoup plus pour les patients (lire « “Non, c’est la cheville…” »). (...)

A cela s’ajoute la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS), soumise par le gouvernement au vote de l’Assemblée nationale à partir du 26 octobre 2010, qui prévoit de réduire les sommes consacrées aux missions de service public (urgences, continuité des soins...) : elle s’inspire des conclusions du rapport Briet (6), du nom du haut fonctionnaire choisi par le gouvernement pour présider le conseil de surveillance de l’AP-HP en remplacement du représentant du maire de Paris, jugé trop sensible à la pression de la population.

Le rentable au privé, le reste au public
De plus, la politique de convergence tarifaire — c’est-à-dire du « tarif unique » entre établissements de santé, quel que soit leur statut, public ou privé, quelles que soient leur taille, leur mission, leur vétusté — va pénaliser en premier lieu les hôpitaux publics et, parmi eux, les hôpitaux de grande taille au bâti ancien. Autrement dit, le déficit de l’Assistance publique de Paris, qui atteint déjà 96millions d’euros, ne peut qu’augmenter l’année prochaine.

Pour survivre à cette concurrence déloyale, les hôpitaux publics adoptent un mode de gestion qui se rapproche de plus en plus de celui des cliniques privées. (...)

Au nom de la rentabilité, les hôpitaux publics vont devoir réduire leur personnel et leurs activités au profit des cliniques commerciales. Le comble sera l’introduction, au sein des hôpitaux publics eux-mêmes, de cliniques commerciales. C’est ce que souhaite M. Durousset pour les maternités. C’est ce qui est prévu à l’hôpital Saint-Joseph de Paris pour une clinique d’orthopédie. Grâce à ce « partenariat public-privé », la division des tâches sera plus facile : le rentable au privé, le reste au public. A n’en pas douter, les coûts pour la Sécurité sociale seront ainsi « mieux maîtrisés ».

Déjà, le montant des dépenses non prises en charge par l’assurance-maladie est passé, entre 2002 et 2008, de 5 % à 29 %, et le nombre de personnes qui renoncent à des soins pour des raisons financières atteint désormais 23 % — et même 33 % pour celles qui n’ont pas d’assurance complémentaire. (...)