
En affirmant publiquement la supériorité de notre civilisation, l’inénarrable Guéant a ouvert les vannes à un flot ininterrompu de stupidités, ce qui était probablement le but poursuivi. Ainsi Bruno Gollnisch, le penseur du Front national, et Luc Ferry, célèbre conférencier mondain, ont soutenu cette ânerie en comparant Mozart et le tam tam.
(...) C’est là une vieille ficelle de la rhétorique raciste, que celle qui consiste à comparer les productions les plus sophistiquées d’une culture donnée avec le folklore d’une autre. Ces deux Homais manifestent surtout par là leur méconnaissance crasse de l’art musical, qui se réduit pour eux aux clichés les plus éculés. Il faut être un véritable esthète pour être en mesure d’apprécier les productions artistiques des cultures éloignées, qui restent impénétrables aux philistins.
Ainsi Gide, dont le goût musical dépassait de cent coudées celui de tous les Gollnisch et Ferry réunis, décrit, dans le Voyage au Congo, ce qu’il a entendu dans un village d’Afrique centrale :
« Un chant extrêmement bizarre (chœur des enfants surtout) avec l’emploi d’un quart de ton, d’autant plus sensible que les voix sont très justes, qui fait un effet déchirant presque intolérable », et encore : « Cette polyphonie par élargissement et écrasement du son est si désorientante pour nos oreilles septentrionales que je doute qu’on la puisse noter avec nos moyens graphiques […] L’attaque du refrain se fait à la fois sur plusieurs notes. Certaines voix montent, d’autres descendent. On dirait des lianes autour de la tige principale, épousant sa courbe mais sans la suivre exactement. » (...)
Faut-il rappeler aussi que l’art et la civilisation ne sont pas le tour de France cycliste et que les différentes formes qu’ils prennent dans les sociétés humaines sont incommensurables. Faut-il rappeler enfin que, quelles que soient les formes, les lieux et les époques, il y a des génies qui émergent de la masse de l’expression banale des peuples
(...)
Baudelaire, si méconnu de l’« élite » bourgeoise de son temps – cet oxymore est toujours d’actualité -– a défini la connaissance du beau, à la fois universel et varié, par ce qu’il appelle « cette grâce divine du cosmopolitisme », étrangère à l’idée toute faite proférée par « l’insensé doctrinaire du beau » qui prétend « défendre [...] de jouir de rêver ou de penser par d’autres procédés que les siens propres – science barbouillée d’encre, goût bâtard, plus barbare que les barbares » et il ajoute : « tout peuple est barbare quand il est jugé ».
L’introduction à L’exposition universelle de 1855 est la plus spirituelle réfutation aux discours des Ferry, Gollnisch, Bruckner, Finkielkraut, et autres Guaino, Guéant et Sarkozy. Cela réconforte d’être français. Relisons également Montaigne, ce génial « relativiste », qui, comme Shakespeare, retrouve en lui-même la nature humaine et parle à chacun sa langue. Cela nous consolera des prétentions de Guéant à ramener la France à son aune dérisoire. La France selon Guéant c’est celle d’Arthur, comte de Gobineau. Cet astre de la pensée, que le monde entier nous envie, écrivit De l’inégalité des races humaines, dont le rayonnement civilisateur est bien connu pour avoir inspiré l’idéologie aryenne.