
Greenpeace poursuit son enquête sur l’osmose entre les différents pouvoirs en France à propos du nucléaire. Dans ce dernier volet publié en priorité sur Reporterre, Greenpeace cible les syndicats, et notamment la CGT, pour son alliance avec le Medef sur cette question. Les revenus tirés du Comité d’entreprise d’EDF expliquent-ils cet accord contre nature ?
Pourquoi cette protection parfois jusqu’au-boutiste du secteur nucléaire ? Elle signifie que l’enjeu pour les syndicats est double. Il s‘agit de maintenir l’emploi d’une filière existante et la défense d’une vision du service public, certes. Mais aussi (surtout ?) d’une filière essentielle dans le fonctionnement des centrales syndicales et dans le maintien de leur influence sur les questions sociales.
Leurs arguments
La majorité des arguments portés par les organisations syndicales en faveur du nucléaire ou à l’encontre des alternatives énergétiques (renouvelables et économies d’énergie) sont identiques à ceux des représentants des grandes entreprises du secteur électrique.
Un constat qui n’est pas étonnant au regard de la "solidarité", pour ne pas dire l’alliance qui a été constituée entre centrales syndicales et patronales au sein du débat sur la transition énergétique (DNTE). Laurence Parisot déclarait ainsi : "sur ce point la solidarité est totale entre la CGT et la Medef".
Les organisations syndicales se sont ainsi soutenues mutuellement durant le DNTE : Nucléaire, gaz de schiste, sobriété énergétique : sur tous ces aspects décisifs du débat, une alliance de fait a existé depuis le début des discussions entre le Medef et trois syndicats très actifs dans les échanges : la CGT, FO et la CFE-CGC.
On retrouve, bien placés au palmarès des arguments avancés par les syndicats :
– L’efficacité économique du nucléaire et la hausse du prix de l’électricité en cas de baisse de la part du nucléaire (voir les éléments de réponses à ces arguments portés par les industriels du nucléaire dans le chapitre 1 de notre enquête sur le site de Greenpeace et sur le site mafacturedufutur.com). (...)
– L’absence d’alternative technique crédible au nucléaire et le risque de black-out (des arguments qui ont eux aussi été décryptés in extenso dans le premier chapitre de notre enquête et le Projet E). (...)
– Signalons un argument récent : le procès en illégitimité de la décision de Fermeture de Fessenheim et de l’absence de démocratie sur le sujet. Un argument pour le moins étrange, quand on considère que cette annonce de fermeture faisait partie du programme du candidat Hollande (engagement 41) sur lequel il a donc été élu. (...)
– Enfin, vient l’argument ultime, attendu de la part des syndicats, mais étonnamment pas le plus présent dans les argumentaires, celui des emplois. "Les emplois créés dans des filières d’énergies renouvelables et ceux existant dans la filière nucléaire doivent s’additionner et non s’opposer" écrivait l’union des syndicats CGT du groupe Areva dans un communiqué en réaction à l’accord électoral PS-EELV en 2011.
Un argument illusoire pour deux raisons. D’abord, parce qu’il se fonde sur une hausse de la consommation d’électricité en France dans les années à venir, hausse qui serait compensée par une production additionnelle d’origine renouvelable. Rien ne laisse pourtant supposer que cette hausse sera réelle. (...)
Ensuite, cet argument sur les emplois est mis à l’épreuve de la réalité. Si la filière nucléaire présente 250 000 emplois (emplois directs et induits cumulés, voir l’étude PWC de 2011), les emplois durables des énergies renouvelables (EnR) en France en représentent déjà près de 100 000, et le cas de l’Allemagne et de ses 350 000 emplois dans les EnR est un potentiel prometteur.
L’étude menée dans le scénario Greenpeace et celle menée sur la base du scénario négaWatt l’illustrent clairement. Le potentiel d’emploi dans la transition est bien supérieur à celui d’une trajectoire BAU. Et soyons francs : la fermeture inéluctable des réacteurs nucléaires français (liée à l’usure et donc aux exigences de sûreté) nécessitera qu’une filière d’emploi durable ait été mise en place. A temps. (...)
Les syndicats du nucléaire, et tout particulièrement CGT et FO, sont d’ardents défenseurs de l’atome.
La protection jusqu’au-boutiste du secteur - au travers d’arguments souvent très contestables, et en dépit d’une équation sociale moins profitable à l’ensemble de la société (notamment sur les emplois), indique que l’enjeu pour les syndicats est double.
Il s‘agit de maintenir l’emploi d’une filière existante et de la défense d’une vision du service publique, certes. Mais aussi d’une filière essentielle dans leur fonctionnement et dans le maintien de leur influence sur le gouvernement et les entreprises sur les questions sociales.
Que deviendrait la fédération Mines-Énergie de la CGT, et plus généralement celle des autres syndicats, si la France entrait dans un programme de sortie du nucléaire ? (...)
Si maintenir la main mise d’une entreprise publique comme EDF sur la production d’énergie apparait cohérent avec la doctrine de la CGT, la défense jusqu’au-boutiste d’une stratégie industrielle de l’entreprise reposant sur la filière nucléaire ne l’est pas. (...)